10 mars 2017

Cosmonauts - A-OK! (2016)

Cela faisait un bail que l'on avait pas évoqué en ces colonnes, les remarquables Cosmonauts. 2013 et Persona Non Grata pour être précis. Remarquable, les Cosmonauts le sont à plus d'un titre. Déjà dans cette incroyable capacité à faire du neuf avec du vieux, à recycler les bonnes vieilles recettes tout en sonnant toujours aussi frais. Remarquable également le fait que chaque nouveau disque constitue un nouveau jalon dans une discographie sans faille.
Et ce A-OK! ne viendra pas contredire ce point puisqu'il s'agit une nouvelle fois d'une franche réussite.

Si l'influence des Spacemen 3 a toujours été patente sur les précédents enregistrements des Cosmonauts ce A-OK! lorgne sans doute plus qu'à l accoutumée du côté de Spiritualized.
Il s'agit d'ailleurs du disque le plus "anglais" à ce jour des californiens puisqu'outre la fixette sur la discographie de Kember et Pierce ce nouvel album est l'occasion de déployer, de révéler, d'autres sources d'inspiration des Cosmonauts.

Des Cosmonauts qui n'hésite pas à faire preuve d'une sensibilité rare ("Party At Sunday), ou à convier à la fête le spectre des Echo And The Bunnymen ("A-OK!").
L'ensemble du disque a également un côté très madchester ("Be Bop A Loser") : on imagine très bien Bez des Happy Mondays se déhancher sur "Good Lucky Blessing". De même les sonorités baggy sont légion sur ce nouvel album.
Ainsi si, comme à l'accoutumée, on retrouve ces pistes merveilleuses de psychedelic drone dont les Cosmonauts ont le secret ("Short Wave Communication" ; "Doom Generation", "Heavenspeak") c'est bien l'apport de nouvelles sonorités, qui plus est avec la même réussite, qui dope le potentiel du disque. Un album plus varié tout en étant très homogène.
Du coup la palette musicale du groupe s'étend en même temps qu'elle s'affirme (on a beau chercher on ne voit aucun morceau sur cet album mais bien que des petites pépites) et devrait dans un monde idéal ramener au groupe un nouveau parterre de fans.

Ce A-OK! est avec Human Performance de Parquet Courts et Weird Exits des Oh Sees, un de ceux qui aura le plus tourné en 2016 sur la platine. Dans le top 3 de 2016 donc.

Frank

Tracklisting :
Face A : A-OK! / Doom Generation / Party At Sunday / Be-Bop-A-Loser / Shortwave Communication
Face B : Heavenspeak / Good Lucky Blessing / Cruisin'/ Discophilia / Graffiti

Audio et vidéo :

9 janvier 2017

Thee Oh Sees - A Weird Exits, Live In San Francisco et Odd Entrances (2016)

John Dwyer est incontestablement l'homme de cette année 2016. Alors que seulement une année s'est écoulée depuis la sortie de Mutilator Defeated At Last voilà qu'en 2016 les Oh Sees ont sorti la bagatelle de trois disques !

Le premier disque à voir le jour est un live, dans la désormais mythique série Live In San Francisco. Un live qui permet de donner un aperçu de la puissance scénique du groupe, de la machine à groove que sont Dwyer et sa bande. Toute personne ayant assistée à un concert des Oh Sees vous le dira, les californiens sont un des meilleurs groupes de rock and roll en activité. Si rien ne vaut l'expérience du live cet enregistrement à le mérite de capter et de restituer un peu de la magie de la bande. Un aperçu qui rappellera des souvenirs heureux à celles et ceux qui ont eu la chance de les voir et qui devrait convaincre les autres de la nécessité d'assister une fois dans leur vie à un concert des Oh Sees.
Le tracklisting fait la part belle à Carrion Crawler/The Dream (2 titres), Floatin Coffin (3 titres) et Mutilator Defeated At Last (3 titres). Un tracklisting complété d'un titre du futur album A Weird Exits et deux singles du groupe (dont le mythique Tidal Wave enregistré en 2010).

Tracklist : I Come From The Mountain / The Dream / Tunnel Time / Tidal Wave / Web / Man In A Suitcase / Toe Cutter Thumb Buster / Withered Hand / Sticky Hulks / Gelatinous Cube / Contraption


Après cette mise en bouche, place à A Weird Exits la nouvelle production studio du groupe. Disons le sans ambages il s'agit là du meilleur album enregistré par les Oh Sees depuis Carrion Crawler. Rien que ça. Si la formule depuis lors est bien connue, mélange de garage rock high energy, de heavy et de kraut, les Oh Sees sous la houlette d'un Dwyer plus aventureux que jamais insuffle un vent nouveau, une vague de fraîcheur à leur recette qui menaçait de les voir tourner en rond.
Les expérimentations de Dwyer avec son projet parallèle Damaged Bugs servent désormais à enrichir la palette musicale du groupe ("Jammed Entrance"). S'il on devait faire une comparaison, ce Weird Exits c'est le Fun House des Oh Sees. Et pas seulement parce que certains titres font penser immanquablement aux Stooges (flagrant sur les attaques de guitare de "Dead Man's Gun") mais surtout par cette esprit de liberté, de créativité artistique qui habite ce nouvel album. On sent les Oh Sees libérés comme jamais comme si le renouveau apporté par le changement de personnel avait requinqué Dwyer et que Mutilator Defeated At Last malgré ses nombreuses qualités n'avait été au final qu'un brouillon, un nécessaire album de rodage pour ses nouveaux compagnons de jeu.
Résultat on est à la fête sur chaque titre, l'apport des deux batteurs (comme désormais en live) apportant un vrai plus.
Si "Ticklish Warror" est dans le plus pur style Oh Sees, sur "Plastic Plant" le côté plus aventureux plus débridé, dope le morceau. Un morceau époustouflant.
Weird Exits est un album varié aux multiples facettes et rend la facilité avec laquelle le groupe enquille les perles plus fascinante encore.
Aussi à l'aise quand il fait sortir l'artillerie lourde ("Gelatinous Cube") que quand il faut prendre son temps pour poser les bases avant de faire décoller le morceau ("Unwrap The Fiend pt2"). Et que dire de la fin de l'album - toute la deuxième partie de l'album revêt une tonalité différente - avec "Crawl Out From The Fall out" titre planant bien psyché s'étalant sur près de huit minutes ou "The Axis" ballade nimbée d'échos noyés, portée par des nappes d'orgue pour se conclure dans un maelström de guitares noisy digne d'un Neil Young.
Avec Weird Exits les Oh Sees viennent de sortir ni plus ni moins qu'un des meilleurs albums de 2016 mais aussi un de leurs meilleurs disques à ce jour.
Chapeau bas.

Tracklist : Dead Man’s Gun / Ticklish Warrior / Jammed Entrance / Plastic Plant / Gelatinous Cube / Unwrap the Fiend Pt. 2 / Crawl Out From the Fall Out / The Axis

Et alors que l'on pensait les agapes terminées voilà que déboule dans les bacs Odd Entrances composé de pistes enregistrées lors des mêmes sessions que Weird Exits. Six nouveaux titres qui prolongent, avec une égale qualité, le plaisir de ce dernier. Une part plus grande étant consacré aux titres au long cours puisque trois des six compositions excédent les six minutes.
"You Will Find It Here" qui ouvre l'album est de ceux là. Une odyssée sonore superbe, planante à souhait, sorte de mille feuilles sonique (à chaque écoute on découvre une couche nouvelle).
Rupture de ton avec "The Poem" qui convoque Donovan au banquet. Un titre tout en retenue qui permet de constater la maîtrise nouvelle du groupe de ces nouveaux tempos tout en permettant une pause avant l'arrivée des huit minutes de "Jammed Exit" le bien nommé sur lequel Dwyer et sa bande s'essayent à moules expérimentations (bidouillages électroniques, flûte. ..). "At The End On The Stairs" résonne à nouveau comme du Donovan, cette fois période Barabajagal, la démesure des Oh Sees en sus tandis que "Unwrap the Fiend pt1" paye son dû à Brian Eno influence revendiquée de Dwyer comme l'attestait la sortie de son album sous le nom de Damaged Bugs.
Même si les titres de Odd Entrances prolongent ceux de Weird Exits, on recommandera de ne pas commencer par ceux-ci, souvent moins abordable dans leur excentricité comme "Nervous Tech (Nah John)" qui clôt le disque par une jam entrecoupée de saillies de guitares... De plus Weird Exits à le mérite malgré sa variété d'avoir une réelle unité qui manque fatalement vu l'exercice à Odd Entrances.
Néanmoins on aurait tort de bouder notre plaisir en ne faisant pas l'acquisition de cette autre galette du groupe, n'en déplaise à nos banquiers.

Tracklist : You Will Find It Here / The Poem / Jammed Exit / At the End, On the Stairs / Unwrap the Fiend, Pt. 1 / Nervous Tech (Nah John)

On vous l'indiquait en introduction, on le réaffirme en conclusion : John Dwyer est le grand bonhomme de cette année 2016. Vivement 2017...

Frank


Audio et vidéo :








13 décembre 2016

M Ross Perkins - S/T (2016)

Le premier album du sieur M Ross Perkins est la belle surprise de cette fin d'année. Venu de Dayton dans l'Ohio, ce drôle de bonhomme, amateur de fourrures et de pop léchée vient de sortir un disque remarquable à plus d'un titre.
Un disque à l'ambiance apaisée sur lequel, M Ross Perkins qui joue de tous les instruments et assure toutes les parties vocales, arrive à capter l'essence des enregistrements fin sixties / début seventies et à en offrir une relecture toute personnelle.
Un disque à la cool, parfait pour décompresser après une journée chargée, idéal pour oublier ses soucis du quotidien.
Si "Humbold County Green" ou surtout "Let A Little Lazy" lorgnent avec brio du côté d'Harry Nilson, "Project 63 Online" quant à lui est un titre excellent sur lequel on passe d'un rythme typique de ce que pouvait produire Donovan à des harmonies vocales façon Beatles du plus bel effet.
En deux titres on est conquis. Et la suite est à l'avenant.
"My Poor Daughter" et surtout "Someone Else", bouleversante sans tomber dans le pathos, ont ainsi le même charme que les premiers enregistrements solos d'Emmit Rhodes.

Le talent mélodique de Ross Perkins est indéniable. On pourrait vanter ses qualités vocales mais le plus frappant reste cette capacité à transcender ses morceaux par des arrangements brillants qui permettent ensuite à ses talents de chanteur de s'exprimer. Il suffit d'écouter un titre comme "Ever Ever Ever", la façon dont il est construit pour comprendre que l'on a affaire ici à un orfèvre, un maniaque du détail qui ne laisse rien au hasard. L'utilisation ici d'un piano ou là d'un mellotron enrichissant la palette musicale.
C'est sans doute cela qui lui permet de s'essayer avec réussite à d'autres sonorités comme sur ce "Amazing Grace (Grandma's dead)" qui sonne comme si les Beatles s'étaient mis au boogie ou "Habit-Formin' Drugs"aux accents country.
Finalement on a parfois qu'un seul regret c'est que certaines pistes soient trop courtes notamment "Annie Waits In A Dream" qui porteuse de plein de promesses s'arrête au bout d'un peu plus d'une minute frustrante. Heureusement "Of The Gun" qui lui succède conclue brillamment ce disque hors du temps, old-fashioned comme diraient nos amis anglo-saxons.

Avec ce premier album, qui en appelle d'autres on l'espère, M Ross Perkins fait une entrée plus que remarquée dans le giron des songwriters de talent.
Splendide.

Frank

Tracklist :
1. Humboldt County Green
2. Project 63 Online
3. My Poor Daughter
4. Someone Else
5. Ever Ever Ever
6. Let A Little Lazy
7. Amazing Grace (Grandma’s Dead)
8. Habit-Formin’ Drugs
9. Local Showcase
10. No Good Sons Of Galveston
11. Annie Waits In A Dream
12. Of The Gun

Audio et vidéo :





1 décembre 2016

Blues Rules 2016 (Crissier - CH)

Blues Rules? Vous avez dit "Blues Rules"? Ces deux mots résonnent et tourbillonnent... car votre mémoire est bonne: les chroniqueurs de Rawpowermag' avaient déjà usé de leur plume pour vous raconter l'étape parisienne de la caravane du Blues Rules en 2013, sans oublier l'interview des Left Lane Cruiser.

Prenant notre courage (et le volant de la voiture) à deux mains, on a donc franchi les Alpes tel un Hannibal des temps modernes (dans le sens France-Suisse cependant) pour répondre à l'invitation lancée par les organisateurs et passer le week-end du 20-21 mai au Blues Rules. Chez Rawpowermag', on n'a donc peur de rien: ni des reportages embedded à l'étranger, ni des interviews in english, ni de l’absinthe suisse, ni d'une nuit au fond d'un bunker... ("ça  nous change de vos jeunes confrères experts musicaux qui pondent leur chronique depuis leur fauteuil cuir club en buvant une suze" nous direz-vous).  Voici donc le compte-rendu subjectif d'un des meilleurs festivals d'Europe (dans notre panthéon personnel).

Le cadre? Le "château de Crissier", sans comparaison avec Chambord ou Carcassonne, disons une belle bâtisse disposant d'un domaine verdoyant avec une vue au loin sur le lac Lémant. La scène est placée en bas d'une faible pente engazonnée, permettant une réelle proximité du public avec les artistes (un des nombreux atouts du festival). Les quelques pâtures aux alentours donnent de l'espace à ce lieu magique, ponctué de quelques gargotes pour apaiser la faim et la soif du chaland. Dans le public, on croise toutes les populations de festivaliers: des locaux, des fans de blues et/ou de jazz (parfois affiliés au BAG) ayant fait un peu de route, des jeunes, des vieux, des familles, des "routards" de festival (reconnaissables à leurs avant-bras garnis de bracelets d'entrée)...

Les instigateurs de ce festival? Vincent Delsupexhe (qui assure maintenant la programmation au Tennessee Paris), Thomas Lecuyer et l'association "Blues en scène", bref que des passionnés de blues sous toutes ses formes (delta, hill country...)!

En 2016, la programmation a volontairement une couleur "gospel" avec la présence de vrais et faux révérends. Parmi les "vrais" (les plus religieux): K.M. Williams, Gabe Carter, Leo Bud Welch. Parmi les "faux" (les plus profanes): DeadEye (et encore ça se discute...), James Leg et Beatman.

Le festival est ouvert par le chœur gospel local, Madrijazz, mais les choses vraiment sérieuses commencent dès 19h avec le set de Mississippi Gabe Carter (interviewé en 2013 à Binic). Si sa fameuse guitare Kay et son stompbox sont toujours là, le son a un peu évolué (moins de reverb peut-être) même sur ses classiques comme "Ain't it a shame". Une certitude reste: son répertoire donne une large place à la musique religieuse. Mais, sans le dire, ce prêcheur est aussi un peu filou en nous gratifiant d'une version personnelle, rapide et enlevée de "I am born to preach the gospel" (de Washington Philips - 1928). Les plus chanceux, matinaux ou croyants (c'est selon) auront même eu le plaisir de l'entendre le dimanche matin dans le temple de Crissier.




Le Révérend K.M. Williams est un personnage à lui tout seul, alternant explications de texte, commentaires sur le blues et blagues légères sur le chocolat suisse ou les rapports entre les gents masculine et féminine, avec le regard tantôt pénétrant, tantôt malicieux. Aidé de sa guitare, il enfonce le clou planté par le répertoire de Gabe Carter ; l'homme aimante l'attention du public de façon rare. On notera sa reprise de "Sittin' on the top of the world" (enregistrée par Walter Vinson et Lonnie Chatmon, membres des mythiques Mississippi Sheiks en 1930) où le bourdon de sa cigar-box (aussi appelée one-string guitar) remplace le violon originel. Lorsque le Révérend croise Gabe Carter, on sent une camaraderie et un respect mutuel - le 1er s'est d'ailleurs occupé de l'office lors du mariage du 2nd.




Reverend DeadEye, peut-être le plus rock'n roll des prêcheurs profanes. DeadEeye et son batteur (une sorte de sosie de Mario?) se connaissent par cœur, ce qui donne libre cours à DeadEye pour proposer quelques variations scéniques de ses propres chansons. Comment ne pas se remuer sur "Drunk on Jesus"? Verser une larme sur "Underneath the Ground"? Le boogie et la religion ne sont pas incompatibles (contrairement à ce que voudrait nous faire croire Laying Martine Jr - la version de Jerry Lee Lewis).




Parce que d'autres en parlent peut-être mieux que nous (et que notre mémoire nous fait parfois défaut - surtout quand on termine un article 6 mois après l'avoir commencé), on vous laisse le soin de lire les impressions qu'ont laissées le légendaire Mighty Mo Rodgers ou encore le Reverend Beatman (qu'on croise régulièrement en France lors de festivals). Soyez rassuré(e), la soirée ne s'est pas arrêtée pour autant puisque des jams se sont organisés entre les différents musiciens, avec notamment les deux compères de The Two (qui offraient leur service côté sonorisation), sous une tente installée derrière la scène. L'ambiance y était cool, à l'image du festival. Il faut dire que les efforts déployés par l'organisation pour permettre aux artistes de se sentir comme chez eux étaient non négligeables (un catering hyper alléchant, des bénévoles motivés et au petit soin, une masseuse...).

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En matière d'entrée sur scène à un festival de blues, on peut dire que celle de Floyd Beaumont & the Arkadelphians restera dans les annales. Le groupe suisse en oublie complètement la douce régularité des trains des CFF et nous embarque d'office dans un rutilant sermon ferroviaire où chaque arrêt est une repère de pêcheurs (jeu, vol...). Le regard de Dieu, prêt à nous marquer au fer rouge, est presque sur nous! En réalité, leur version est une adaptation des sermons du révérend A.W. Nix où celui-ci fait référence au "Black Diamond Train", train reliant New-York à Buffalo jusqu'en 1960 et transportant également de l'anthracite [on remercie Enno Geissler d'avoir éclairé notre lanterne sur ce point]. Telle une locomotive à vapeur, le groupe se met en marche: harmonica, washboard, contrebasse, guitare, dobro... Face à nous prend forme un véritable string band. La rythmique impeccable fait son office, ça tape des mains, des pieds, ça remue du postérieur sur des morceaux traditionnels et éternels. "Deep Elm Blues" [enfin je crois que c'était ça...] et bien d'autres morceaux blues ou country pre-war [avant la 2nde guerre mondiale]. Les aficionados du festival se souviendront surement du 1er passage de Floyd Beaumont & the Arkadelphians (en 2011), et ont dû apprécier ce nouveau line-up. D'ailleurs on s'est laissé entendre dire que, cette fois, c'était la bonne, et qu'un 1er album serait bientôt en cours d'enregistrement. Gageons que vous serez nombreux à y jeter une oreille plus qu'attentive.



Molly Gene, la one-woman-band experte dans l'art de l'équilibre entre rage et blessure étouffée, dont le taulier du site (Frank) vous parlait déjà en 2011. Vu l'énergie dégagée sur scène, on a du mal à croire que Molly est, à ses heures perdues, professeure de yoga. Plutôt fuyante face aux demandes d'interview, elle se libère complètement sur scène et malmène sévèrement son footdrum. À certains, son chant rappelle le strohbass ("voix craquée" assez basse - comme sur "Delta Thrash Way"), d'autres y voient plutôt l'héritage d'un country blues ancestral. Elle pioche ses titres dans ses anciens albums (Hillbilly Love - 2010, Folk blues and Booze - 2011) comme les plus récents (Trailer Tracks - 2016, Dela Thrash - 2015). Ici aussi, pas de fautes sur les reprises, avec notamment celle de "Standing in my doorway crying" (de Jessie Mae Hemphill - fantastique blueswoman à découvrir absolument).




Le festival était aussi l'occasion de revoir Leo "Bud" Welch (déjà venu en 2014) qu'on avait croisé au Red's de Clarksdale (Mississippi) quand il avait décidé de reprendre du service. Évidemment, il ne faut pas s'arrêter aux efforts déployés par cet octogénaire pour apparaître au mieux de sa forme dans cette messe du blues: la guitare à paillettes rouges et ses (magnifiques) chaussures assorties (à la guitare), le costume brillant avec une rose épinglée... "une autre notion de la classe que Mighty Mo Rodgers!" oseront certains. De tout son set, on regrettera la reprise de "Sweet Home Chicago"... Mais, comme aurait pu dire un grand échalas du haut de sa croix, "tout est pardonné".



Juste après, la capitale française du rock'n roll populaire, Montreuil, a fait entendre sa gouaille et son style inimitable - entre rock'n roll, chanson française, country, musique manouche... - pour nous infliger une baffe musicale monumentale. Ah, les 4 gars de Johnny Montreuil, cette touche incroyable avec ces solos d'harmonica sidérants (merci Kik), avec la basse et la guitare flirtant avec le style rockab', et puis cette voix! "Artiste de bar", "Wesh leur leur" (dédicace aux contrôleurs de la RATP...), "Devant l'usine" (luttes syndicales), "J'ai le cœur qui saigne" (une autre forme de blues?) ont su conquérir un public en un instant. Il fallait entendre le public reprendre le refrain sur "Le Blues du Ferrailleur": je m'en vais chiner la ferraille dans mon gros camion... pour la convertir en dollar dans mon beau camtar!



Fin connaisseur de Nina Simone, James Leg et son batteur (Matt Gaz) sont venus rappeler à l'audience que le Rhodes est un très bon clavier pour le rock'n roll et le gospel. Pas de fioritures, on retrouve la voix - teintée de whisky - et le jeu de claviers typiques des albums de James Leg, et des Black Diamond Heavies. Si vous n'avez un disque de lui et/ou de son groupe, il vous faudra absolument réparer cette faute sous peine de damnation sur 5 générations (6 si vous travaillez chez Planetgong...).



Clou du festival: la participation du Cedric Burnside Project! Petit-fils de R.L. Burnside, Cedric propose une restitution d'un double- héritage familial dans un duo batterie - guitare avec Trenton Ayers (lui-même fils d'Earl "Little Joe" Ayers qui officiait dans le backing band de Junior Kimbrough). Depuis plusieurs années, Cedric entretient des liens d'amitié forts avec Vincent Delsupexhe, et sa joie de pouvoir rejouer à Crissier est communicative. En début de concert, Cédric et sa guitare font humblement face au public pour distiller un peu de son héritage personnel avec 2-3 chansons intemporelles, dont "Poor Black Mattie" (du paternel). Le duo Burnside-Ayers se met ensuite en place: Cédric au chant et à la batterie, Trenton à la guitare. Sous son chapeau noir, Trenton semble surexcité: il trépigne, sautille, fait quelques pas chaloupés avec sa guitare... "Wash my hands", "Sing about the blues", des versions revisitées de "Going down South" et "Going away" (du paternel), les titres s’enchaînent alors que la nuit est déjà tombée depuis longtemps... Le public est conquis, et nous aussi.


 


Là où les festivals les plus connus (Montreux Jazz, Cahors Blues...) se sont vautrés par le passé, notamment en programmant de têtes d'affiche "rock" (ou assimilés) plutôt insidpides (à côté de très bons artistes blues/folk il faut le reconnaître), le Blues Rules - lui - tire son épingle du jeu en proposant une programmation cohérente autour du blues.

Longue vie au Blues Rules!

(Pour prolonger le plaisir, on vous file aussi un dernier lien vers des interviews réalisés avec différents groupes sur un site suisse. En attendant qu'on trouve le temps de transcrire la longue interview avec le Reverend DeadEye...)

John the Revelator

PS: Merci à Vincent, Ratel (capitaine logistique), Rapido et MrRoryBlues (pour leurs vidéos!), aux bénévoles du festival et toutes les personnes rencontrées pour leur accueil. S'il est une certitude, c'est bien que ce festival n'aurait pas été une réussite sans eux.

25 novembre 2016

Kevin Morby - Singing Saw (2016)

Il faut bien reconnaître que la première fois que l'on a écouté Singing Saw on a pas vraiment accroché. Hormis le morceau titre et "Dorothy" ce nouveau disque nous avait quelque peu déçu. On l'avait même trouvé un peu plat ("Destroyer" pas sauvé à vrai dire par ses arrangements un peu lourdingue), faisant preuve d'une mélancolie un chouia trop appuyée et même un peu "forcé" comme sur "Ferris Wheel" qui nous a, sans doute involontairement, fait penser à Jeff Buckley (dont l'oeuvre nous laisse globalement de marbre).
Résultat on a remisé ce disque sur l'étagère sans vraiment aller plus loin.
Et puis on y est revenu, par petits bouts, pour finir par réviser quelque peu notre jugement.
On a toujours pas changer d'avis sur "Ferris Wheel " et "Destroyer" que l'on trouve toujours aussi pénible (surtout qu'ils s'enchaînent ) mais pour le reste, disons le c'est du bel ouvrage.

On comprend au fil des écoutes ce qui nous avait rebuté : une production au son plus ample qui donne un côté un peu plus indie au folk intimiste de Kevin Morby, ce qui lui sied moins et des arrangements moins pertinents qu'à l'accoutumée qui donnent parfois une impression d'empilage qui nuit à la fluidité de l'ensemble.

Mais malgré ces quelques écueils, Kevin Morby conserve cette qualité, ce talent pour torcher de belles pépites folk, qui si elles font échos à l'oeuvre des Dylan et surtout Leonard Cohen, sont marquées du sceau de leur auteur.
"Cut Me Down" magnifique ouverture de l'album, "I Have Been To The Mountain", malgré ses choeurs mais avec sa ligne de basse entêtante, confirment tout le bien que l'on pensait de Kevin Morby depuis Harlem River.
Si "Drunk And On A Star" est le genre de titre intimiste dans lequel Morby est le plus à l'aise, "Black Flowers" est l'exemple des progrès affichés par ce dernier qui n'hésite plus à prendre des risques.
Et même si tout n'est pas convaincant comme évoqué plus haut, la facilité déconcertante avec laquelle il trouve la mélodie juste, permet au final à ce Singing Saw si ce n'est d'égaler ses prédécesseurs, d'être bien supérieur à ce que peut offrir la concurrence tout en ouvrant de belles perspectives pour l'avenir.

Frank

Tracklist :
1.Cut Me Down
2.I Have Been to the Mountain
3.Singing Saw
4.Drunk and on a Star
5.Dorothy
6.Ferris Wheel
7.Destroyer
8.Black Flowers
9.Water



13 novembre 2016

Dan Rico - Endless Love (2016)

La première fois que l'on a vu cet album de Dan Rico, on a avoué avoir eu un petit tressaillement. La faute à cette pochette à se faire pâmer d'émoi les fans de Sade (1) et d'effroi les autres.
Pourtant comme vous le savez, érudits lecteurs, on ne juge pas un livre sur sa couverture. Et dans le cas de Dan Rico ce serait passer à côté d'un très bon disque.
Sorti en co-prod chez Shit In Can Records et Maximum Pelt, ce premier album solo de Dan Rico est en effet un concentré de titres pop de haute volée.
Le début du disque, en plus de dévoiler les influences du bonhomme, n'est d'ailleurs pas loin de titiller la perfection.
"Soft Feeling" est ainsi le genre de titre que nous proposait il n'y a pas si longtemps un groupe comme Harlem, de la pop gentiment bancale et toujours attachante. "Endless Love" paye son dû à la fois à Big Star et aux Nerves - rien que ça - tandis que "Kinda Wanna" par son rythme et sa mélodie évidente n'est pas sans évoquer les Buzzcocks. "On A Tear" quant à elle, c'est un peu les Ramones quand ils reprenaient "Needles And Pines". Sur ces quatre titres la magie opère, Dan Rico s'approche, tutoie même, le génie de ces illustres prédécesseurs.
Après ce début en fanfare, le soufflé retombe un peu sans que pourtant on ne décroche du disque, Dan Rico se montrant suffisamment convaincant sur les deux ballades "Smoking Curls" et "Don't Look Back" pour retenir l'attention.
"Casual Feeling" vient amener un petit coup de fouet avec sa structure très Television, "Wasted Youth" et "Gimme A Taste" poursuivant l'effort en mode powerpop complètement débridée.
"Dangerous" est un autre temps fort du disque, sans doute le titre qui a le plus de personnalité, celui où on ressent moins les influences de son auteur. Il est bon de signaler que Dan Rico est un mélodiste hors-pair tant vocalement (on adore son timbre gentiment étouffé comme sur "Cold Cold Heart") qu'une guitare à la main.
Et cela contribue grandement à la réussite de cet album qui ressemble à une fête durant laquelle Dan Rico rendrait hommage à ses idoles. On lui pardonne d'autant plus la sortie de route "After All" avec ses synthés agaçants, seule réelle fausse note d'Endless Love.
Mais retenons l'essentiel : Endless Love est un disque touchant, émouvant et profondément attachant.

Frank

(1) merci Peter pour nous avoir signaler la proximité avec la pochette de Diamond Life de Sade !

Tracklisting :
01-Soft Feeling
02-Endless Love
03-Kinda Wanna
04-On a Tear
05-Smoking Curls
06-Don’t Look Back
07-Casual Feeling
08-Wasted Youth
09-Gimme a Taste
10-Dangerous
11-Cool Cold Heart
12-After All

Audio et vidéo :

6 novembre 2016

Morgan Delt - Phase Zero (2016)

Deux ans après un premier album brillant, retour de l'orfèvre psyché Morgan Delt avec un nouvel album sous le bras, Phase Zero, sorti cette fois non plus chez Trouble In Mind mais chez Sub Pop.
Si vous aviez accroché sur son premier album à ces merveilles de petites vignettes travaillées à l'extrême et truffées de bidouillages en tout genre, et que le passage chez Sub Pop vous inquiète, vous serez ravi d'apprendre que Morgan Delt ne fait pas évoluer sa formule d'un iota. Tout juste peut-on noter un ensemble un petit peu plus pop.
Chaque morceau commence peu ou prou de la même manière : de splendides parties vocales, aériennes, généralement nimbées sous des couches d'échos, puis au moment où on s'est enfermé dans une forme de confort, appréciant l'univers sonore, c'est le moment que choisi Morgan Delt pour faire basculer son titre, pour s'essayer à toutes les expérimentations ou laisser parler un clavier dissonant.

Il faut donc comme pour son prédécesseur un peu de temps pour s'habituer à l'univers si singulier de Morgan Delt et digérer chacune de ces expérimentations qui si elles apportent leur lot de singularités peuvent également agacer quand elles viennent casser le rythme des morceaux.
Et c'est bien là tout le problème de ce Phase Zero. Si chacune des pistes ici présentes sont de grande qualité, on aurait, convenons-en, parfois aimé un peu plus de simplicité, comme a su par exemple en faire preuve un artiste comme Doug Tuttle sur son dernier album.
C'est quand il est plus économe de ses effets que Morgan Delt est intouchable, des titres comme "I Don’t Wanna See What’s Happening Outside", "Another Person" ou l'excellente "Some Sunsick Day" peuvent en témoigner.
Mais Morgan Delt est ainsi, ou vous vous laissez embarquer pour ce voyage singulier et accepter ce patchwork sonore ou vous passez simplement votre chemin. A cet égard, l'oeuvre du groupe n'est pas sans rappeler dans un style plus indie, celle du Elephant Six Recording avec des groupes comme Olivia Tremor Control ou Apples In Stereo qui sur une base très pop influencée par les Beatles laissaient libre cours à leurs expérimentations sonores.

Pour autant, le parfum qui se dégage de l'album ne laisse jamais indifférent et au fil des écoutes, on fait fi de ces quelques défauts qui ont pu nous agacer pour apprécier à leur juste valeur les titres présents ici et se laisser bercer par l'indolence de son auteur ("The Escape Capsule") capable de véritables flamboyances ("Sun Powers" ; "Mssr. Monster").

S'il on conserve une préférence pour son prédécesseur, force est de reconnaître que Morgan Delt n'a pas son pareil pour construire (et déconstruire) de belles petites perles psychés.
Pour oreilles averties néanmoins.

Frank

Tracklist :
1- I Don’t Wanna See What’s Happening Outside
2- The System of 1000 Lies
3- Another Person
4- Sun Powers
5- The Age of the Birdman
6- Mssr. Monster
7- A Gun Appears
8- The Lowest of the Low
9- Escape Capsule
10- Some Sunsick Day

Audio et vidéo :