12 septembre 2013

Interview Mississippi Gabe Carter (Binic Folk Blues Festival 2013 - France)

On a tenu promesse : Rawpowermag’ était présent au Binic FolksBlues Festival du 2 au 4 août 2013, et ce, pour la 3ème fois consécutive. Comme d’accoutumée, Binic a permis à de nombreux festivaliers de découvrir et d’arpenter les chemins peu fréquentés du territoire du blues, très loin de ceux menant à des personnages médiatiques comme BB King (avec tout le respect qu’on lui doit pour ses 1ers enregistrements).
Comme lors de son dernier passage en 2012 sur Paris, David Evans était accompagné de Mississippi Gabe Carter. Si le 1er est une référence reconnue du monde de l’ethnomusicologie, professeur à l’Université d’Oxford (Mississippi) et de Memphis (Tennessee) et joue en public depuis 1962 ; le 2nd est nettement moins connu (voir Sources).
L’idée de faire découvrir ce blues man blanc résidant à Chicago, dont le chant peut rappeler Junior Kimbrough et son jeu celui de blues men de « l’école » de Bentonia (Jack Owens, Skip James…), nous a convaincu de nous jeter à l’eau en contactant l’association organisatrice du Binic Folks Blues Festival : la Nef-D-Fous... Moins de 15 minutes après un 1er email, la sentence tombait : c’était OK !
Habité d'une conscience « professionnelle » inébranlable, slalomant entre touristes en goguette et festivaliers souriants, remontant la foule à contre-sens (nos voisins belges appellent ça un « conducteur fantôme »),on peut se targuer de s'être placé régulièrement au 1er rang et d'avoir assisté à la quasi-totalité (5) des sets de Mississippi Gabe Carter.
Et s'il en est un à retenir, c'est bien celui du samedi soir.
La place de la Cloche, baignée d'une lumière bleutée, voyait une foule d'amateurs de blues dodeliner de la tête, se serrer les uns aux autres autour d'un Gabe Carter en grande forme, ravi d'être là, gérant les variations de rythme de chacune de ses chansons pour finir d'emporter son public dans un mélange de blues et de boogie sur son dernier titre... Une véritable salve d'applaudissements s'est ensuite faite entendre, répercutée par les façades des maisons donnant sur le port : un grand moment.

 (photographie avec l'aimable autorisation de P. Erard)
Le lendemain après-midi, Mississippi Gabe Carter était disponible pour répondre à quelques questions. A la demande du blues man, la terrasse d'un fast-food local fera l'affaire...
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John the Revelator: Vous avez dit par le passé que vous avez commencé à jouer vers l'âge de 5 ans. Vous souvenez-vous des 1ères chansons que vous avez apprises ou jouées ?

Mississippi Gabe Carter: La 1ère chanson que j'ai apprise ? Je n'arrive pas à m'en souvenir... Ca devait être un truc que j'ai entendu quelque part et que j'ai essayé de reproduire en jouant sur une seule corde.

JtR: Sur un diddley bow?

MGC : Non. J'avais une guitare mais je ne savais pas vraiment en jouer. J'ai finalement réussi à reproduire les sons [de la mélodie] en jouant les notes sur une seule corde. C'est comme ça que j'ai commencé.

JtR: Avez-vous pris des leçons ou vos parents vous-ont il appris la musique?

MGC: Mon papa était pianiste. Il apprenait le classique et m'a toujours encouragé à être un musicien classique, que ce soit au piano ou à la guitare...

JtR: Donc, il vous a enseigné la musique, ou êtes-vous allé à des cours (ou autre) ?

MGC: Non parce que je refusais! (rigolant)

JtR: Vous vouliez embêter votre père en disant que vous refusiez de jouer du piano comme lui ?

MGC: Il voulait que je joue du piano car, pour lui, c'était l'instrument le plus important. De mon côté, il [le piano] ne m'intéressait guère... Je veux dire : je pouvais jouer du piano et me faire plaisir en jouant par et pour moi-même, mais il voulait que je prenne des leçons. Pour moi, avoir des cours rendait ça très ennuyeux. Ça n'était pas marrant du tout ! Le truc le plus sympa était de jouer, d'utiliser mes oreilles, de venir avec un son que j'aimais. Ce n'était pas cool d'étudier. Je n'aimais pas l'école d'ailleurs.

JtR: Vous n'aimiez pas être dans une classe.. ?

MGC: J'étais OK à l'école, j'avais de bonnes notes, etc. Mais je faisais le moins possible. J'ai eu queqlues soucis aussi.

(on récupère notre commande au fast-food, des gens passent à notre table pour saluer Gabe et se moquer gentiment de mon « interview »)

MGC: J'avais l'habitude d'écouter mon père lorsqu'il jouait du blues au piano. Il était capable de siffler du blues, de créer un blues... Je me souviens que ça m'intriguait. J'essayais de comprendre comment il y arrivait, comment il créait une chanson. Donc j'ai essayé de faire la même chose en « traduisant » de ma bouche à ma guitare.

JtR: Donc vous n'avez jamais vraiment appris les notes/accords ou des chansons spécifiques [au blues] ?

MGC: Non.

JtR: Vous jouiez en « accords ouverts » (open chords) quand vous étiez plus jeune, disons « depuis le début » ou est-ce que c'est venu bien plus tard ?

MGC: Quelqu'un m'a montré au début comment s'accorder en accord standard, donc j'ai commencé à jouer comme ça en premier. Puis, je me souviens que, alors que des personnes jouaient du blues [à côté de moi], je pouvais dire que ce n'était pas un accordage standard. Rien qu'à l'oreille je le percevais. J'étais un enfant et ça a été une vraie révélation pour moi. Je me suis dit « attends une minute, je peux entendre la ligne de basse... », alors j'ai détendu quelques cordes afin de l'ajuster [à ce que j'entendais].

Ça m'ait venu comme ça, en un instant.

Personne ne m'a jamais dit, ou montré, comment m'accorder de cette façon. Et je n'avais jamais entendu parler d'accords ouverts.

JtR: Quel âge aviez-vous à cette époque?

MGC: A peu près 15 ans.

JtR: Vous avez déjà fait, entre-guillemets, une « tournée » avec plusieurs artistes : David Evans, les 10 Foot Polecats...

MGC: Oui j'ai joué et joue encore avec différents musiciens.

JtR: Et, est-ce que vous avez déjà joué dans un groupe ?

MGC: Lorsque j'étais adolescent, j'avais un groupe.

JtR: Quel était le nom de ce groupe ?


MGC: Je ne pense pas qu'il a réellement eu un nom (rigolant).

JtR: Avez-vous sorti un CD ou autre chose ?

MGC: Non, non...

JtR: Donc, [ce groupe] restera dans la légende...

MGC: En fait, pour être honnête avec toi, J'ai visionné récemment une vidéo de moi et mon groupe. Ca a été filmé il y a très longtemps, je devais avoir 16 ans ou... et on jouait « Catfish » (souriant) et c'était plutôt bien !

JtR: Y a-t-il un musicien ou un groupe avec qui tu aimerais partager la scène pour un soir ?

MGC: Je pense que j'ai partagé la scène avec quasiment tous ceux que je souhaitais. Cependant, il y a encore tout un tas de gens que je ne connais pas. Je ne sais pas... Je suppose que, dans une situation imaginaire, je serais très heureux de jouer avec BB King !

JtR: Ça reste encore du domaine du possible.

MGC: Ouais! Je crois qu'il joue encore chaque année à différents endroits dans sa ville natale, Indianola dans le Mississippi. C'est une petite ville au milieu de nulle part... Lorsque j'étais gamin, il était mon « guitar hero » ! Et je n'ai jamais cessé de l'écouter [sur disque]. Mon album préféré lorsque j'étais enfant (c'était surtout lié au fait que c'était le seul album que je possédais de lui) était  “Why I sing the blues”. Et je l'écoute encore en boucle !

JtR: A quel moment êtes-vous passé du blues « classique » au blues rural ?

MGC: Lorsque j'étais très jeune, il y avait toujours une part de mystère au sujet du blues, comme un retour en arrière vers un lieu inconnu... Tu t'en rends compte tout le temps, parce que tu entends des gens utiliser les mêmes paroles et jouer les mêmes choses. Tu es capable de dire que ça renvoie vers quelque chose dans le passé. A chaque fois, ça te renvoie en arrière, de plus en plus en arrière... Pour moi, c'est là où se trouve l'énigme / le mystère.

Tu sais, pour un enfant, c'est plutôt dur de comprendre [le blues]. Je n'entendais pas tant de gens que ça en jouer. A l'époque, il n'y avait pas d'internet, tu avais besoin d'une personne qui te fasse découvrir... Je n'avais personne comme ça dans mon entourage, mais je me pouvais me rendre compte qu'il y avait une part de mystère. J'étais le genre de personne qui voulait vraiment rencontrer quelqu'un [du milieu du blues rural], de tisser des liens, mais ce n'est pas arrivé jusqu'à ce que je découvre Jack Owens.

JtR: Faites-vous référence à des vidéos du documentaire “The Land Where The Blues Began” (« Le pays où naquit le blues »)?

MGC: Oui.

JtR: A partir de ce moment-là, vous avez commencé à collecter des tablatures de guitare, à lire des livres [sur le blues]..?

MGC: Non. Tout ce que j'ai fait, c'est d'écouter [des disques] non-stop. Tous les trucs sur lesquels je pouvais mettre la main, je les écoutais. J'ai essayé de chercher n'importe quel support, des vidéos, des enregistrements... N'importe quoi !

J'ai même fini par trouver un album sorti au Brésil,  avec un nom un peu bizarre dont je n'arrive pas à me souvenir... Bref, c'est une compilation sur laquelle on trouve 2 titres [de Jack Owens] dont quasiment personne n'a entendu parler. A l'époque, je voulais trouver tous ses enregistrements, y compris des enregistrements privés par exemple.

Et dès que j'ai entendu tous ces enregistrements, tout a changé pour moi. C'étaient les connexions dont j'avais besoin.

JtR: Je sais que ton 1er album a été produit par un documentariste français, J-Y Munch, mais à propos de « French connection », peux-tu me raconter comment tu es entré en contact avec Ratel et commencé ta 1ère tournée en France ?

MGC: C'était de la pure chance ! J'ai réussi à avoir un billet pas cher pour venir en France, 160$ l'aller-retour, en 2009. Je voulais jouer dans la rue, revenir à l'hôtel et essayer de rencontrer des gens, je savais pas trop... Donc, je suis arrivé en France, et le 1er jour  j'ai reçu un email de Ratel me demandant si je cherchais « un concert pour ce soir ». J'ai répondu:3non, je suis crevé, je suis un peu paumé, je ne peux pas... ». Je me suis ensuite rendu compte que la salle de concert était vraiment à deux pas de mon hôtel. Je pouvais voir le bar du coin depuis ma fenêtre!

Donc je l'ai rencontré le lendemain et j'ai accepté la proposition. Puis, Ratel a organisé d'autres concerts durant mon voyage et à faire en sorte qu'on entende parler de moi. Tout « groove » depuis ce temps-là.

JtR: Et à propos de Nicolas de Normandeep Blues Rds ? J'ai entendu dire qu'il y avait un album en préparation pour cet été, ou un peu plus tard...

MGC: J'espère bien!

JtR: Avez-vous déjà enregistré quelque chose ?

MGC: Non, on est en train de réfléchir à ce que je vais pouvoir enregistrer grâce à lui. En tout cas, ce sera un album complet.

JtR: Ce sera en CD, comme vos 3 précédents albums, ou peut-être en vinyle ?

MGC: J'en sais rien, peut-être les deux !

JtR: Parmi vos albums antérieurs, lequel est votre favori ?

MGC: Hmmm, c'est difficile de répondre. En tant qu'album, “Midnight Dream” est mieux structuré du début à la fin. “Until They Drag Me Down” n'est pas vraiment équilibré comme [devrait l'être] un album, avec un début et une fin... Mais certaines des chansons qui y figurent sont mes meilleures.

JtR: Savez-vous combien de titres seront gravés sur votre enregistrement ?

MGC: Là aussi, je ne sais pas. 10 à 15 je suppose.

JtR: Vous allez l'enregistrer chez vous en home-studio, quelque part aux USA, ou bien même en France ?

MGC: Aucune idée. Je voudrais revenir ici [en France] cet hiver, donc ça devrait être possible de faire quelques enregistrements ici en même temps. Mais, il est plus que probable que je l'enregsitre à la maison avec l'aide de mon ami, J-Y Munch.

JtR: Vous avez une idée précise de ce que vous souhaitez obtenir avec cet album ? Par exemple, aura-t-il un son proche des précédents ?

MGC: Je pense que je resterai sur les mêmes « rails »... Dans un futur [plus lointain], ça ne me dérangerait pas de faire quelque chose de vraiment différent. (silence) Peut-être. Je sais pas. (silence) Les gens ont l'air d'aimer ce que je fais, donc il n'y a pas de raison de changer ça.

JtR: D'autres artistes ont souvent répondu qu'on « ne peut pas faire tout le temps la même chose » etc.

MGC: Il y aura toujours une différence. Pour moi, il y a une énorme différence entre mon 1er et mon 2nd album lorsque je les écoute. L'essence est la même, mais les albums eux-mêmes sont différents. Si je pouvais m'enregistrer tous les 3-4 mois, on noterait une évolution du style.

JtR: En ce qui concerne vos chansons, la plupart d'entre elles aborde des sujets religieux, la perte de de quelqu'un, la peine... Comment les créez-vous ? Vous les écrivez sous le coup d'une inspiration soudaine, ou autre ?

MGC: Ça dépend vraiment de ce qu'il m'arrive, de ce que je ressens... En tout cas, je ne peux pas chanter une chanson sans que je la ressente.

JtR: Vous avez dit par le passé : « T'as pas besoin d'avoir eu une vie de merde pour jouer du blues »...

MGC: Hmm, et bien...(un peu gêné) Comme T-Model Ford disait: “Je jouais du blues mais je l'ai jamais eu ! » (riant) Et c'est vrai, tu n'as pas besoin de ramer toute la journée pour jouer du blues.

JtR: Vous avez un second job aux USA. Vous pouvez m'en dire plus ?

MGC: Je travaille comme charpentier. Pas à plein temps, peut-être un quart de l'année, plus ou moins. Le reste du temps est consacré à la musique.

JtR: Êtes-vous correctement payé lorsque vous exercez ce métier ?

MGC: Et bien, c'est payé correctement. Je ne suis pas un charpentier professionnel. Je ne suis pas formé pour ça et n'ai pas étudié plusieurs années la charpenterie. Les gars [qui ont étudié] peuvent se faire beaucoup d'argent par contre. Mais, d'après moi, je suis simplement le mec qui se montre au bon moment. (riant)

JtR: Ça sonne comme une série TV (pensant à “L'home qui tombe à pic” et riant). Est-ce que votre mariage a changé votre façon de jouer, ou vous a insipiré de nouvelles compositions ?

MGC: Oui complètement. Être marié a beaucoup à voir avec le fait d'avoir une relation plus proche avec Dieu. C'est une des choses les plus importantes [dans la vie]. La plupart d'entre nous sommes censés faire cela. (silence) La façon dont je vivais avant était mauvaise, parce que je faisais des trucs que je n'aurais jamais dû faire...

JtR: Des choses illégales, ou à l'opposé des règles du Christ ?

MGC: Je me suis toujours défini comme chrétien, considéré moi-même comme un chrétien, mais mes nombreux actes passés ont été faits selon ma propre vision égoïste. Je n'aidais personne [à l'époque].

Il y a eu un moment où je me suis rendu compte que Jésus disait (je ne me souviens plus des termes exacts) que toute personne venant le voir en pleurant « Oh Seigneur, Seigneur, Seigneur... » n'irait pas forcément au paradis. Ceux qui vont au paradis sont ceux qui suivent les enseignements de Jésus et les 10 commandements. Pour moi, c'est très important et c'est [en même temps] difficile à suivre dans toute situation. C'est un processus constant, personne n'est parfait.

Donc, oui clairement, mon mariage m'a changé. Ma relation avec Dieu est plus intime, et j'essaye d'écouter ce qu'Il désire me voir faire.

JtR: Si on regarde dans le passé, un grand nombre de blues men ont arrêté de jouer du blues de façon à mieux s'intégrer dans une communauté (où la religion est souvent très forte) et être autorisés à rentrer dans une église. En tant que croyant, quel est votre point de vue ? Le bleus est-il vraiment quelque chose qu'il vous est interdit de jouer ?

MGC: A mon niveau, je me dois d'être vigilant car, si tu dis des mots qui amènent quelqu'un à fauter, alors tu fais quelque chose de mal, tu fautes toi-même en fait... et tu finras par le payer un jour. Donc, je n'ai pas envie de faire ça. Dans le passé, quand ma vie était un vrai désastre, c'était facile de chanter n'importe quoi – enfin, des fois personne ne t'écoute (riant) – c'était facile de chanter des paroles mauvaises ! Des paroles qui offensaient Dieu !

Vraiment, je dois faire attention à ce que je chante. Pour moi, tout est relié à Dieu. Peu importe le sujet que j'aborde, des choses de la vie quotidienne ou bien spirituelles, ça a un lien avec Dieu. Je ne pense pas que ça ait besoin d'être « tout blanc ou tout noir », je ne pense qu'il soit nécessaire que 100 % d'entre eux arrêtent de jouer du blues, mais d'un autre côté certaines personnes ne savent pas se contrôler. Par exemple, je ne pouvais plus boire d'alcool il y a 3-4 ans car j'étais incapable de me contrôler. Maintenant, je ne fume plus de cannabis ou de cigarettes, je ne bois plus... j'ai arrêté tous ces trucs.

JtR: Ce fut un combat difficile...

MGC: Oui, ça concernait plus ma santé que tout autre chose pour être honnête. Je demandais alors à Dieu de m'aider, mais ce n'était pas une part de ma vraie relation avec Dieu car je vivais à ma façon. Maintenant, la boisson n'est plus une tentation. Il y a plein de tentations autour de nous, tu dois faire attention, peu importe qui tu es.

Une autre chose (à propos des gens abandonnant le blues pour rejoindre l'église) est l'un des 10 commandements : « garde [respecte] le jour du Sabbath », soit la période allant du vendredi soir jusqu'à la journée du samedi. Donc, en gros, 99 % des chrétiens ne font pas les choses correctement ! (riant) Des fois, je galère un peu pour essayer de gérer tout ça.

C'est important pour moi de pouvoir jouer le vendredi. Je n'ai pas de souci avec le samedi. Mais, lorsque je joue le vendredi soir ou durant la journée du samedi, je joue presque exclusivement des chansons à connotation religieuse.

JtR: Il y a un lien très fort entre certaines chansons de gospel et de blues [emprunt de couplet, rythmique similaire...]. Le gospel et le bleus partagent de nombreuses racines musicales et sociales.

MGC: Vrai. C'est effectivement la même chose. Le blues tient à dire la vérité, peu importe la manière, et ça doit venir de ton cœur. Lorsque je joue des spirituals, je sonnerai vraiment bien à l'oreille si je joue avec mon cœur.

JtR: D'autre part, il y a aussi le fait qu'on retrouve un notion d'espoir dans le gospel plus que dans le blues. En écoutant certains titres de blues particulièrement tristes, on ressent l'impossibilité de trouver une fin à une mauvaise situation. Dans le gospel, plusieurs d'entre elles parlent du temps de la « libération », de l'arrivée au paradis... il y a une sorte de but qu'il est possible d'atteindre à la toute fin.

MGC: C'est vrai, il y a plus [de notion] d'espoir.

JtR: Parlons un peu guitare et équipement. Tu as toujours joué sur cette guitare Kay ? Tu en changerais pour une autre un jour ?

MGC: Je ne sais pas. J'aime cette guitare (souriant). A chaque fois que j'ai changé celle-ci pour une nouvelle, je suis revenue à celle-là.

JtR: On a discuté tout à l'heure d'une Lespaul Goldtop de 1952 que tu avais remarqué dans un magasin aux USA... Elle coûtait aux alentours de 15000$ ! (riant)

MGC: Je ne crois pas qu'lle vaille réellement ces 15000$, en plus celle-ci (pointant sa guitare) est meilleure et ne m'a coûté que 300$ ! (riant)

JtR: Que pensez-vous de ces vieilles (et difficiles à trouver) guitares ? Vous pensez que ça vaut le coup de partir en quête de l'une d'entre elles ?

MGC: C'est la même chose quelque soit la guitare, mais peut-être plus particulièrement pour les guitares de 60 ans ou plus car [pour un même modèle] elles sont très différentes les unes des autres. J'ai joué sur de nombreuses guitares, et plus particulièrement [des guitares] du même modèle.

JtR: Vous souvenez-vous de l'endroit où vous l'avez achetée ?

MGC: Oui, dans une petie boutique de guitares. C'était en Pennsylvanie, pas très loin de New York. Elle était pas chère, même en ce temps-là [où les guitares étaient moins chères], je l'ai achetée à cause de ça d'ailleurs. Je voulais la revendre : elle était si peu chère que je pensais pouvoir en tirer de l'argent à la revente ! Donc, je l'ai achetée 300$ et l'ai mise en vente pour 500$.

Et je n'ai pas réussi à trouver d'acheteur ! Je jouais avec une guitare accoustique à l'époque, et c'était la seule guitare que je possédais donc je l'ai prise pour jouer dans la rue. Et j'ai adoré joué avec.

JtR: Avez-vous essayé de jouer sur un dobro [guitare à résonateur] ?

MGC: J'en ai eu une mais je l'ai vendu.

JtR: Vous n'aimiez pas le son, ou ça ne correspondait tout simplement pas à votre style ?

MGC: Je l'aimais beaucoup mais c'est le genre d'instruments que tu ne peux pas utiliser en toute circonstance.

JtR: Voici la dernière question (et je précise que vous n'avez pas le droit de répondre « Lurie Bell » parce que vous l'avez déjà fait dans une interview précédente) : il y a une tradition sur notre blog, voudriez-vous présenter à nos lecteurs(trices) un artiste/groupe injustement méconnu à vos yeux , de façon à le mettre un peu plus en lumière ?

MGC: C'est difficile d'en choisir un en fait ! (souriant)

JtR: Alors allons-y pour 2 ou 3 si tu préfères !

MGC: OK, donc #1, je commencerai par Lucious Spiller, il est de l'Arkansas – de l'autre côté du Mississippi, pas très loin de Clarksdale. Il joue en insufflant un vrai supplménet d'âme à ses morceaux. Il joue des reprises que tu connais, mais la façon dont il les joue et les chante est incroyable... Il a un côté sauvage lorsqu'il est sur scène et fait des trucs de dingues !

#2 serait... Kim Williams, un guitariste du Texas. Il est également révérend. Il a officié à mon mariage... Si tu aimes ma musique, tu aimeras la sienne.

JtR: Donc, #3?

MGC: Je connais un gars, il est vraiment cool et a besoin de plus de publicité. Il mérite l'attention.  Il doit avoir a peu près 80 ans maintenant, son nom est Smilin' Bobby, et il est de Chicago. Mais je ne sais pas si tu seras capable de trouver des infos sur lui...

JtR: Et bien, je crois que le temps est écoulé : tu as un shooting photo d'ici quelques minutes. Je te remercie sincèrement pour avoir pris le temps répondre à toutes mes questions.

MGC: Merci, mec.

English Version:

(Sitting at a fast food restaurant, start talking together about the recorder I was switching on and Mississippi Gabe Carter Saturday show)

John the Revelator : You said in the past that you started playing as you were 5-years old. Do you remember the 1rst songs you learned or played?

Mississippi Gabe Carter : The 1rst song I learned, I can't exactly remember... It must have been something I heard and then tried to play on one string.

JtR : Like a diddley bow?

MGC : No. I had a guitar but didn't really know how to play. I figured how to sound it out very easily. Finding the melody by playing the notes on one string. That's how it started.

JtR: Did you take lessons, or did you parents teach you music?

MGC: My dad is a piano player. He learned classical and he always pushed me to be an “classical” artist, whatever it was on guitar or piano...

JtR: So did he teach you, or did you go to a music school or something?

MGC: No because I refused! (laughing)

JtR: You wanted to pull legs of your father by saying”I don't want to play piano”?

MGC: He wanted me to play piano because, for him, it was the most important instrument. But I have no interest... I mean, I would play piano and enjoy playing by myself but he wanted me take to lessons. To me, having lessons takes the fun out of it. It's not fun anymore! The fun part for me is playing, using my hears, coming up with something I like. It's not fun to study. I hated school.

JtR: You don't like being in a classroom..?

MGC: I did OK at school, I got good grades and stuff...but I did as little as possible (smiling). Well, I got some troubles too.

(bringing back food for Gabe and me, peoples coming at our table to say hi to Gabe and pull my legs about my “interview”)

MGC: I used listening to my dad as he played blues on the piano. He was able to whistle blues, and create blues... I remember it interested me: I tried to figure out how he did it, how he created a song. So I tried to do the same and translate from my mouth to my guitar.

JtR: So you never learned notes/chords nor specific songs?

MGC:
No.

JtR: Did you play with open chords as you were young, let's say “since the beginning”, or much later?

MGC: Someone first showed me how to tune in a standard tuning, so I played on that first. Then, I remember people playing blues and I could tell it was not on a standard tuning, I just heard it.. I was a kid and it was a revelation to me. I thought to myself: wait a minute, I can hear what the bottom line. So I tuned my guitar down to that and ajusted it.

It just came to me in a second.

No one ever told me how to tune that way, nor showed me. I never heard anything about open tuning before.


JtR: How old were you at this time?

MGC: Maybe 15.


JtR: You kind of “toured” with different artists: David Evans, the 10 Foot Polecats...

MGC: Yes, I play with different musicians.

JtR: But, did you play in a band before?

MGC: As I was a teenager, I had a band.

JtR: What was the name of this band?

MGC: I don't think we really had a name (laughing)

JtR: Did you issue a CD or something?

MGC: No, no...

JtR: So, it will stay as a legend...

MGC: Actually, to be honest with you, I did see recently a video that someone took from us playing. It was a long time ago, I mean, I was 16 or... and we played “Catfish “ (smiling) and it was really good too.

JtR: Is there any musician or band you will be happy to share the stage with?

MGC: I think I shared the stage with almost everybody I ever wanted. However, there are still a lot of people I don't know. I guess for a “dream” situation, I'd be happy to play with BB King.

JtR: So, it's still possible.

MGC: Yeah! I think he plays at some places every year in his hometown, Indianola in Mississippi. It's a small area in the middle of nowhere... As I was a kid, he was my guitar hero. And I never stop listening to him. My favorite album, as a little kid (because it was the album I had), is “Why I sing the blues”. And I can still listen to it non-stop.

JtR: When did you switch from “classical” blues to delta / hill country blues?


MGC: As I was a little kid, there always was a kind of mystery about blues, it takes you back somewhere... You can always sense it, because you hear people saying the same thing, and play the same thing. You can tell it came from some-when before then, and it always takes you back, and back, and back... For me, it's where the mystery is.

You know, as I was a young kid, it was still hard to combine. I didn't hear much people playing it. At that time, there was no internet, you needed to find somebody to show you... I didn't have anyone like that, but I can sense that mystery was there. I was the one who wanted to find someone, to get connected, but I never really did until I heard Jack Owens.

JtR: Did you refer to some videos like “The Land Where The Blues Began”?

MGC: Yeah.

JtR: From this time, did you start collecting guitar tabs, reading books..?

MGC: No. All I did was just listening non-stop (smiling). Anything from him playing I could get I listened to it. I tried to hunt down, anything: videos, records... Anything! I ended up finding a record released in Brazil. I don't remember the name of it, some weird name... It's a compilation and there are two songs that mostly people never heard of. I wanted to find anything that he played, from people who got private recordings for example.

As soon I heard them, it changed everything for me. The connections that I was looking for.


JtR: I know that your 1rst album has been produced by a French documentarist, J-Y Munch. And, talking about “French connection”, how did you get in touch with Ratel and the rest of?

MGC: That was just luck! I was able to get a really cheap ticket for France, $160 round-trip, in 2009. I wanted to play on the streets, come back to the hotel and try to meet people, I don't know... So I showed up! The 1rst day I arrived, I got an email from Ratel saying “do you want a gig for tomorrow?”. I said “no, I'm tired, I don't where I am, I can't...” then I figured out that the show will 2 doors away, really 2 doors away from the place I was. I looked at the window and saw the bar at the corner!

So I met him there the day after and went to the show. Then, he set up other gigs for that trip and people started to hear about me. Everything grooves from there.


JtR: What about Nicolas from Normandeep Blues Records? I heard there is an album coming this summer, or maybe later...

MGC: I hope so!

JtR: Did you already record everything?

MGC: No, we tried to find what we gonna release. But it will be a full album.

JtR:
Will it be a CD like your 3 previous albums, or maybe on vinyl?

MGC: I don't know, maybe both!

JtR: Among your previous albums, which one is your favorite?

MGC: Hmm, that's hard. As a “all-album”, “Midnight Dream” is better built from the beginning to the end. “Until They Drag Me Down” is not balanced as an album with a beginning and an end. But some of the best songs I ever recorded are on it.

JtR: Do you know tracks will be available on your next album?

MGC: Don't know. 10 to 15 I guess.

JtR: Will you record it at home, somewhere in US, or in France?

MGC: Don't know too. I would like to come back here this winter, so it might be possible to do some recordings here at that time. But, more than likely, I'll do it at home and get my friend, Mr Munch, to record it.

JtR:
Do you have a precise idea of what you want with this album? Will it have the same “sound” as the previous ones?

MGC: I think I'll stay on the same tracks. But, maybe in the future, I wouldn't mind doing something different. Maybe. I don't know. People like what I do, so there is no reason to change it.

JtR: Other artists often say “you can't always do the same thing, etc”

MGC: There will always be a difference. For me, there is a huge difference between my 1rst and 2nd album. The essence is the same but both albums are different. If I could record every 3-4 months, the essence and the style would evolve...


JtR: Regarding your songs, most of them talk about religious things, the loss of someone, pain... How do you create them?

MGC: It depends on what happens in my life, whatever I feel... But, I can't sing a song unless I feel it.

JtR: You said in the past that “you don't need to have a shitty life to play some blues”.

MGC:
Hmm, well. As T-Model Ford said: “I played the blues, but never had it” (laughing) And it's true, you don't need to walk and struggle all day to play blues.

JtR: You've got a second job as you're in US. Could you tell more about it?

MGC: I work as carpenter. Not all the time, maybe a quarter of the year, more or less. The rest of the time is music.

JtR:
Are you well paid as you're doing this job?

MGC:
Well, it's descent paid. I'm not a professional carpenter, I'm not trained and haven't work carpentry for a lot of years. The guys who do that can make a lot of money. But, for me, I'm just the guy who shows up on time (laughing).

JtR: It sounds like the title of a TV series (thinking at “The Fall Guy” - laughing). Did your wedding change your way of playing, or does it inspire you few songs?

MGC: Yes definitely. Getting married has a lot to do about having a closer relationship to God. It's one of the most important things. Most of us is supposed to do it.
The way I was living in the past was wrong, because I was doing things I shouldn't have been doing...


JtR:
Things against the law, or against Christ?

MGC: I always thought myself as a Christian, believed myself to be a Christian, but a lot of what I've done in my life have been done under my conditions. It didn't help you or other people.

There was a point I realized that Jesus said, I can remember the words but, that not everyone who comes crying and saying “Oh Lord, Lord, Lord...” will go to heaven. People going to heaven is the one who follows Jesus and the 10 commandments. So, for me, it's important and it's a hard thing. It's still a process, no one is perfect.

So, yes definitely, this wedding changed me. My relationship to God is more intimate. And I try to listen what He wants me to do.


JtR: If we look in the past, not far way, a lot of musicians quited playing blues in order to join religious communities and be allowed to go to church. As a believer, what do you think about this? Is blues something you're not allowed to do, or?

MGC: For me, I've to be careful because if you say words that make another man sin, you're doing something wrong, you're sinning basically... and it will cost you. So, I don't want to do that. In the past, when my life was a disaster, it was easy to sing things - well, sometimes nobody is listening (laughing) – it was easy to sing things that aren't right! They were against God.

I have to be careful about what I'm singing. For me, everything is related to God. Whatever I'm talking about, daily things or spiritual, it has to do with God. However, I don't think it needs to be “black and white”. I don't think that 100% should quit but some people can't control themselves. As example, I couldn't drink alcohol 3-4 years ago, because I couldn't control myself. Now, I don't smoke weeds or cigarettes, I don't drink anymore... I quit all this stuff.


JtR: It was a hard fight...

MGC: Yes, but it was more about health than anything else. I was asking Go to help me, but it was not a part of my real relationship to Him, because I was living on my own terms. Drinking is not temptation for me anymore. There are temptations out there, you've to be careful and it doesn't matter who you are.

Another thing is about people quiting to go church is one of the 10 commandments: keep the sabbath holy. It used to be Saturday and started on Friday night. So 99% of Christians are not doing it that right (laughing). I struggle sometimes because I don't know how to handle that...

It's important for me to play on Friday. Saturday night I have no problem. But, what I've been doing on Friday night, and on Saturday during the day, is to play almost exclusively religious gospel materials.


JtR: And there is a strong link between gospel and blues songs sometimes. They are sharing same musical and social roots.

MGC:
Right. It's basically the same thing. Blues is about telling the truth, and it doesn't matter how, but it has to come from your heart. As I'm playing spiritual songs, I will sound good to people If I'm playing it from my heart.

JtR: Well, another thing is that there's more hope in most of gospel songs than in blues songs. Listening to some very sad blues songs will only make you think that there is no end to what happened to you. In gospel, a lot of songs talk about freedom and heaven, a goal that you'll reach at the end.

MGC: Yes, there is more hope.

JtR: Let's talk about your guitars and gears. Have you ever been playing on this Kay guitar? Will you change it one day?

MGC: I don't know. I love this guitar (smiling) Every time I switched to a new guitar, I always came back to this one.

JtR:
We talked together about a 1952's Lespaul Goldtop you saw in a shop... Pricing around $15000 (laughing)

MGC: I don't think it will worth $15000, plus this one is better (pointing his guitar). And this one costs me only $300.

JtR: What do you think about these old (and hard to find) guitars? Do you think it worth tracking them around?

MGC: It's the same for any guitar, but maybe specially for 60 years-old guitars, they're very different from one to the next. I played a lot of guitars, and specially this model.

JtR:
Did you remember where you bought it?

MGC: Yes, in a little guitar shop. It was in Pennsylvania, just outside of New York City. It was cheap, even for that time: I bought it because I wanted to sell it. It' was so cheap that I think I could sell it and make money from it. So I bought it for $300 and put for sale at $500.

And I couldn't find a buyer! I was playing an acoustic guitar at that time, and that was the only guitar I had so I took it up to play on the streets. And I liked it.


JtR: Did you try to play on a dobro?

MGC: I used to have one, but I sold it.

JtR:
You didn't like the sound or it didn't suit with your style ?

MGC: I liked it a lot but that's the kind of thing you can't use in all circumstances.

JtR: Here is the last question (and you're not allowed to answer “Lurie Bell” because you already did it in the past): there is a tradition on our website, could you introduce to our readers a unfairly unknown band or musician you particularly like to put lights on it/him/her?

MGC: It's hard to pick one actually (smiling)


JtR: So, let's go for 2 or 3 if you want !

MGC: OK, so #1, I'll start with Lucious Spiller, he's from Arkansas – just outside of Mississippi, not far from Clarksdale. He plays just what he does so so soulful. He's incredible and he plays cover songs that you know, but just in the way he plays and sings.... He's wild as he stands up on stage and does crazy stuff!

#2 will be... Kim Williams, a guitar player from Texas and a reverend too. He officiated at our wedding... If you like me, you like him too (thinking)


JtR: So, #3?

MGC: I know a guy, he's really cool and needs some attention. He deserves attention... He's maybe 80 actually. His name is Smilin' Bobby, and he's from Chicago. I don't know if you'll be able to find something.

JtR: Well, I think it's time off because you've got a photo shooting session right now. I really thank you a lot for having taken time answering all my questions.

MGC: Thanks, man.




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Remerciements:
Sincères remerciements à tous les membres de la Nef-D-Fous que j’ai pu côtoyer, en particulier à Marie et Ludo pour leur disponibilité et leur accueil. Si le festival de Binic est une réussite chaque année, c’est bien grâce à eux et leur association.
Salutations également aux deux photographes Philippe Erard (auteur de "Port Très Blues / Call of the Blues" - belle compilation de photographies des éditions 2009-2011) et ...? [je cherche toujours son nom], qui ont eu la gentillesse de m’offrir un souvenir de cette interview. Sans oublier le camping municipal de Binic, qui nous a fait l'immense privilège d'accepter une réservation (une très, très, très longue histoire...).
Vidéos : une partie du concert (samedi)







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