7 août 2011

Lady Sings the Blues – Billie Holiday (1956)

Difficile de ne pas secouer la tête de dépit en lisant cette autobiographie de la chanteuse la plus connue de l'histoire du jazz. Trois ans avant sa mort – à seulement 44 ans – Billie Holiday racontait sa vie...son parcours...d'une effroyable tristesse.

J'étais déjà une petite femme à 6 ans

Sa mère n'avait que 13 ans lorsque Billie est née en 1915. Très tôt, la petite a dû se prendre en charge pour ramener quelques cents à la maison. Dans cette Amérique où le racisme était d'une confondante banalité, on avait toujours besoin d'une négresse pour nettoyer le perron blanc de son Home Sweet Home. Billie passait donc des journées entières à frotter pour récolter sa maigre pitance. Elle adorait se faire raconter des histoires par son arrière grand-mère, ancienne esclave. Un jour – Billie avait six ans – son arrière grand-mère lui demanda de l'allonger un peu (malade, elle avait l'obligation de rester constamment assise) et Billie s'exécuta, tout en se lovant dans ses bras. Lorsqu'elle se réveilla, la petite Billie était prisonnière de l'étreinte d'un cadavre...la raideur était telle que les voisins – alertés par les cris – ont dû casser le bras de la grand-mère pour libérer l'enfant ! On imagine le traumatisme... Mais ce n'est pas tout. A l'âge de 10 ans, Billie se fit violer par un autre voisin (aidé par sa femme). A 13 ans ? Re-belote ! Ironie cruelle de la vie, nonobstant son dégoût profond pour le sexe, Billie se prostitua ensuite pour mieux gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa maigrichonne de mère (papa Holiday les avait quitté pour aller vivre sa vie de musicien) dont le souhait était d'ouvrir un restaurant. La première partie du livre est une véritable chronique sociale de cette époque pas si lointaine.

"Lady Day"

Il m'est impossible de chanter deux fois de suite de la même manière

De son vrai prénom Eleonora, la chanteuse choisit le nom de « Billie » en référence à l'actrice Billie Dove et parce que son père l'appelait « Bill » du fait qu'elle était un vrai garçon manqué.
Passant une audition pour danser dans un bar, Billie se retrouve à chanter à la place. On lui trouve quelque chose. Il faut dire que la gamine n'a pas à aller chercher bien loin la douleur exprimée dans certaines chansons...Dotée d'un tempérament de feu, Billie se fait rapidement une place parmi les orchestres. A commencer par celui de Benny Goodman. Le succès est au rendez-vous et Billie devient amie avec Lester Young, son saxophoniste préféré, celui qu'elle surnommera affectueusement « Prez » (pour President). Les tournées s'enchaînent et bientôt c'est l'orchestre de Count Basie qu'elle accompagne un peu partout aux États-Unis. Les noirs étaient autorisés à jouer et chanter, certes...Mais manger dans un restaurant avec des blancs était une autre paire de manches ! Commander une boisson dans un bar était l'assurance de réflexions déplacées, de refus ou de passage à tabac. Vous aviez beau gagner beaucoup d'argent, rouler en Cadillac, être une vedette...Vous n'étiez qu'un nègre en fin de compte. Et vous trouviez toujours quelqu'un pour vous le rappeler.

"Billie et Lester Young"

Southern trees bear a strange fruit, blood on the leaves and blood at the root

Son interprétation de Strange Fruit lui permettait de rappeler les atrocités commises par les racistes. Le public était alors submergé par l'émotion. Il n'empêche qu'on demandait souvent à Billie de se noircir le visage parce qu'elle était trop claire de peau par rapport aux autres musiciens...Ou alors l'inverse lorsqu'elle jouait avec des blancs. La mixité n'était pas au goût du jour et mieux valait éviter de se promener avec un homme blanc. On apprend tout de même que Billie fut une très bonne amie de...Orson Welles ! Elle a ainsi visionné Citizen Kane plusieurs fois avant sa sortie officielle. Elle connaissait très bien Clark Gable, Lana Turner...Les acteurs hollywoodiens étaient friands de grandes fêtes où le jazz était naturellement de la partie.

"Billie et Count Basie"

Les emmerdements ont commencé quand j'ai essayé de m'arrêter

Bien entendu, Billie est également passée par la case « blanche » comme bien des artistes du milieu. Les flics lui couraient après, lui tendaient des pièges dans les chambres d'hôtel; de tribunaux en hôpitaux, Billie a connu les affres du manque et d'un esclavagisme tout aussi douloureux psychologiquement...Sans parler des hommes qui se succédaient dans sa vie : des brutes et des infidèles dont elle tombait éperdument amoureuse, meurtrissant un peu plus ce corps et cette âme brisée. Le destin funeste de Billie fut le fruit de ce cocktail destructeur qui la nourrissait depuis tant d'années.

"Billie et Louis Armstrong"

Voici donc une autobiographie sans compromission, dans un style « parlé » qui vous plonge intensément dans cette Amérique des années 20, 30, 40 et 50.
Un livre passionnant, révoltant, émouvant...Le récit d'une très grande dame du jazz.

Mr BOF


Vidéos :

"Strange Fruit"




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