7 juin 2014

Scott H. Biram - Nothin' But Blood (2014)

Il est temps! Temps de réparer un tort, tellement grand qu'il jette à lui tout seul l'opprobre sur Rawpowermag' et ses descendants pendant 10 générations. En ces lieux, jamais une chronique n'a été consacrée à un artiste américain pourtant connu de toute la sphère raw blues pour tous les mois passés sur la route autour du monde (il oublie rarement la France lors de ses tournées) et ses disques sans concession (5 produits avec son propre label Knuckle Sandwich Records*, puis 5 autres chez Bloodshot Records), ou encore ses apparitions dans des films  comme Seven Signs: Music, Myth & the American South (2008), The Folk Singer : A Tale of Men, Music & America (2008 également). 

Sa musique a même été reprise par d'autres (Hank Williams III, les Nashville Pussy...), ainsi que pour la bande sonore de séries américaines.

Aussi habile dans le registre country qu'avec des blues électrifiés, ce Texan de 40 ans, originaire de Lockhart, a d'abord fait ses armes en jouant dans un groupe de punk-blues et 2 bands de bluegrass.

Prolifique donc, Scott H. Biram revient en 2014 avec Nothin' but Blood, son 5ème disque chez Bloodshot Records. S'ouvrant sur "Slow & easy", l'album invoque ses souvenirs en s'accompagnant à la guitare folk, en quelques secondes la mélodie reste accrochée dans nos oreilles. On apprécie les douces envolées, à la touche presque hispanique, de la 2nde guitare. Dans la tradition blues, l'harmonica se transforme ici en écho d'un train de marchandises sifflant au loin.

Petite accélération rythmique tendance country et arrivée d'une légère saturation sur la voix et la guitare avec "Gotta get to heaven". Comme l'indique le titre, on retrouve un des thèmes favoris de Scott: la foi. Vu la pochette avec ses références bibliques appelant à la rédemption/bénédiction (regard vers le ciel, ouverture des bras, fleuve), on ne pouvait que s'y attendre... Les quelques solos, pas lourdingues pour un sou, aèrent agréablement ce morceau entraînant qui donne furieusement envie de taper du pied.

Après la religion, il était nécessaire d'aborder un autre thème récurrent du monde du blues et de la country: la boisson. La chiche configuration one-man band s'exprime sur "Alcohol blues" : le groove - un poil martial - se limite à une suite d'accords en I-IV-V (structure à laquelle quelques péquenauds et toquards aimeraient réduire la définition du blues) ponctuée sur 5'07" par quelques rares solos. Évidemment, les érudits/mélomanes auront reconnu la reprise du titre joué par Mance Lipscomb en 1969 et admettront que Scott revisite à sa façon le fingerpicking typique du Texas blues.

Sur "Never comin' home", le style épuré et accoustique renforce la solitude de l'interprète. L'image (peut-être éculée) du marcheur parti de chez lui, quittant problèmes et mauvais souvenirs pour ne plus jamais revenir, est saisissante. Contrairement aux deux premiers titres de l'album qui pâtiront lors d'un concert, celui-ci devrait rester à la version du disque. Tout comme "Only whiskey", où le fameux breuvage semble le seul compagnon de vie acceptable.

"Jack of diamonds" ("valet de carreau" en français) est le titre de nombreuses œuvres, des films, mais surtout celui d'une chanson traditionnelle d’origine texane datant du début du XXème siècle. Popularisée par Blind Lemon Jefferson, Mance Lipscomb, Skip James et bien d'autres, elle fait référence aux cheminots jouant au "coon can" (appelé aussi "conquian" - un jeu de cartes) et y laissant tout leur argent. Les musicologues relient cette chanson à "Rye whiskey", dont l'origine renvoie elle-même à un morceau du XVIIIème s. nommé "The rebel soldier", lui-même probablement d'origine écossaise encore plus ancienne ("Robi Donadh Gorrach"). On trouve ici un exemple de l'influence (parmi d'autres) des ballades européennes sur le blues. Pour revenir à la version de Scott H. Biram, celui-ci joue avec un bottleneck sur sa guitare et nous offre quelques moments de délire à partir de 3'10".

"Nam weed" apparaît comme un titre plus dépouillé : seule une guitare folk, "quasi nue" oserait-on dire, accompagne Scott H. Biram. Au delà de la référence à la drogue, ce titre évoque l'amitié et le "bon temps" passé ensemble. À écouter les 1er mots prononcés sur cette piste, il semblerait que le morceau soit la 2nde prise studio: ça en dit long sur l'expérience et la maîtrise du Texan en matière d'enregistrement.

"Backdoor man", encore une reprise, mais nettement plus moderne: Scott H. Biram fait semblant de partir en roue libre et choisit une voix encore plus graveleuse que la référence du titre ne le laisse déjà entendre ("l'homme de la porte de derrière" correspond à l'amant qui fuit par l'arrière de la maison avant le retour du mari). Initialement écrite par le bluesman Willie Dixon pour Howlin' Wolf qui l'enregistra en 1961, son refrain possède une progression d'accords assez typique du Chicago blues. On entend un refrain très proche sur "I'm Mad (Again)" de John Lee Hooker (1957), "I'm a Man" de Bo Diddley (1955), ou encore "Hoochie Coochie Man" de Willie Dixon lui-même (1954). Les puristes feront remarquer que le terme "backdoor man" fait partie du lexique traditionnel du blues bien avant ces enregistrements: on le retrouve dans les paroles de nombreuses chansons de Charlie Patton, Blind Willie McTell...

"Church Point girls" se vautre un peu dans l'ornière du métal bas-du-front et nous explique tout le mal qu'on peut penser des filles habitant du côté de Church Point. Visiblement, ce n'est pas le meilleur endroit pour draguer  (espérons que le franchouillard Guide du Routard en tiendra compte dans sa prochaine édition).

Heureusement, on remonte de suite la pente avec le pur country "I'm troubled"! Déjà une véritable pépite sur les field  recordings de Doc Watson & Watson Family (par Ralph Rinzler, Eugene W. Earle, Archie Green, and Peter Siegel entre 1960 et 1963), l'accélération du tempo assure une vraie cure de jouvence à ce titre.

L'excentricité de Scott H. Biram refait surface avec "Around the bend". Un morceau instrumental dans son ensemble. Après 1'00" en accoustique, le maelström de saturation et un petit rire démoniaque se font entendre. À partir de 2'00", la rythmique vacille à plusieurs reprises dans le death metal et finit de désarçonner l'auditeur voyant passer un OVNI musical sur Nothin' but Blood.

Après avoir péché en abordant l'alcool, la drogue, le jeu, les relations extraconjugales... Notre texan réalise un grand écart musical et tente de se racheter en reprenant "Amazing grace", un standard chrétien de plus de 300 ans. Probablement enregistrée en live (on semble entendre la pluie en fonds sonore et l'écho de la pièce - une petite église?), Scott propose ici une version alternant chant a capella et mélodie à l'harmonica.  Sans être inintéressante, on regrette ici qu'il n'ait pas choisi une chanson religieuse un peu plus originale...

De façon générale, l'Homme a souvent montré son désir de se rapprocher de Dieu lorsqu'il sent son trépas arriver. Il faut faire son acte de foi et "When I die" pourrait en être un excellent: When I die, I gonna see my Jesus / When I die, I wanna see my Lord / Take away all my sins... Le contraste des 2 guitares et des 2 voix donnent une dimension particulière à ce titre.

Reculant devant rien, Scott H Biram s'autorise une dernière reprise pour clôturer cet album: "John the Revelator". Un gospel, rien que ça. En commençant les 1ères mesures a capella, on voit ici la révérence faite à la version de Son House. Scott H Biram, accompagné de Jesse Vain, vient ici relever le rythme de cette sublime chanson**.

En dehors des 2 incisions métal, Nothin' but Blood n'est pas un disque passéiste et sans âme enchaînant les reprises de pépites et standards du blues comme de la country. C'est la vision personnelle fidèle - même si relativement moderne - d'un chanteur-guitariste texan ayant assimilé un héritage culturel considérable et pour qui le mot "rambling" pourrait résumer une partie de son existence.

Rawpowermag' lave donc aujourd'hui ses péchés, il est temps que l'aimable lecteur fasse de même en se précipitant au prochain concert de Scott H. Biram et en revenant avec une de ses osties noires de taille 33 tours!

John the Revelator

* Knuckle Sandwich renvoie à l'obscure notion de "pain dans la gueule"... Le lecteur comprendra de lui-même la haute porté symbolique de cette image alliant gastronomie et physionomie.

** Cet avis est purement objectif étant donné la distance qu'entretient l'auteur de ces lignes avec la dite chanson.

Vidéos:
"Slow & easy"



"Never comin' home"



Discographie:
This is Kingsbury? (KnuckleSandwich Records, 2000)
Preachin' & Hollerin' (KnuckleSandwich Records, 2002)
Rehabilitation Blues E.P. (KnuckleSandwich Records, 2003)
Lo-Fi Mojo (KnuckleSandwich Records, 2003)
The Dirty Old One Man Band (KnuckleSandwich Records, 2004 - ressorti chez Bloodshot Records, 2005)
Graveyard Shift (Bloodshot Records, 2006)
Something's Wrong / Lost Forever (Bloodshot Records, 2009)
Hang Your Head & Cry 7" Single (Bloodshot Records, 2011)
Bad Ingredients (Bloodshot Records, 2011)
Nothin' But Blood (Bloodshot Records, 2014)

Label:  Bloodshot Records

Source: http://www.bluegrassmessengers.com/jack-o-diamonds--version-1-lomax-.aspx

2 commentaires:

  1. ça donne bien envie d'acheter l'album ! Merci m'sieur. Je participe au repentir collectif. :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y a un passage en France prévu pour l'automne il me semble. Ceci dit, je ne vais p-e pas attendre jusque là pour m'offrir le disque... Peut-être une commande collective sur PG? Va savoir :)

      Supprimer