19 avril 2010

The Saints - I'm Stranded (1977), Eternally Yours (1978) & Prehistoric Sounds (1979)

Et si le meilleur groupe punk seventies n'était pas anglais mais australien? C'est souvent sous cette forme que l'on introduit généralement The Saints. Et comme souvent quand on parle de groupe punk, les meilleurs sont généralement ceux qui se sont vu affublés de l'étiquette sans vraiment appartenir au mouvement. D'ailleurs s'il y a bien un genre sur-côté et dont le bilan devrait être fait c'est bien le punk rock. Pour un Damned ou un Dead Boys combien de groupes de seconde zone ? Mais revenons à nos australiens ! Fondé à Brisbane, The Saints est composé de Chris Bailey au chant, Ed Kuepper à la guitare et Ivor Hav à la batterie (le groupe changera régulièrement de bassiste avant de se fixer avec Alisdair Ward).
Influencé par le rythm'n'blues et le garage rock, le son de The Saints se caractérise par un tempo frénétique, un chant habité de Chris Bailey et un son sec, qui amènera la confusion évoquée plus haut. Car si les Saints partagent avec le courant punk le même goût pour les morceaux joués pied au plancher et un son de guitare assez caractéristique, la comparaison s'arrête là. Derrière les compositions du groupe, on sent l'influence entre autre des Rolling Stones ou des Pretty Things dans le rock énergique de la bande à Bailey (qui partage avec Mick Jagger et Phil May le même ton nasillard...). Quoiqu'il en soit, lorsque sort son premier album I'm Stranded en 1977, le groupe obtient un petit succès en Angleterre alors qu'il ne rencontre qu'indifférence dans son propre pays.
Le magazine londonien Sounds qui découvrit le groupe fit du simple "I'm Stranded" le meilleur simple de l'année 1976 ! Vite signé chez EMI (en pleine vague punk renforçant la confusion), le groupe voit son premier album diffusé par Harvest, ce qui lui permet de partir en tournée en Angleterre.
L'album trente deux ans après sa sortie sonne toujours aussi frais, aussi sauvage qu'à sa sortie.
Des pistes comme "I'm Stranded" bien sûr, "Erotic Neurotic", "Demolition Girl" ou encore "One Way Street" permettent de mesurer toute la différence entre les Saints et la concurrence anglaise. Peu de groupes pouvaient se targuer à l'époque d'enregistrer de tels brûlots high energy. Contrairement à certains disques portés au pinacle à la même époque, ce premier disque des Saints suinte l'urgence, assurant le relais de Raw Power des Stooges.
Des pistes comme "Messin' With The Kid" ou "Story Of Love" dénotent la fascination du groupe pour les Rolling Stones ou les Flamin' Groovies tandis que l'intro de "No Time" évoque le MC5.
La version cd sortie en 1999, voit l'album réhaussé de deux bonus tracks qui en disent long sur les obsessions du groupe : "Lipstick On Your Collar" de Connie Francis et surtout "River Deep Mountain High" de Ike & Tina Turner !
Le vent en poupe, le groupe sort dans la foulée un nouveau simple "This Perfect Day", qui fera un carton notamment grâce au soutien de John Peel qui le diffuse à de nombreuses reprises à la BBC et à une participation à l'émission Top Of The Pops.
Ce qui aurait du être le début de la gloire pour le groupe tourne au cauchemar : EMI est incapable d'assurer la demande, le simple est en rupture de stock empêchant le groupe d'occuper le terrain et ce alors que la presse ne les trouvant finalement pas assez punk, les délaisse.
C'est dans ce contexte que le groupe sort un album souvent brillant, Eternally Yours en 1978. Délaissant quelque peu le rythme frénétique qui caractérisaient les pistes du premier album, The Saints offre sur ce nouvel album des compositions plus maîtrisés, moins brut de décoffrage, assumant ses influences.
Mieux sur "Know Your Product", le groupe s'adjoint une section de cuivre apportant une coloration soul du plus bel effet. On a d'ailleurs du mal à imaginer qu'un tel morceau ait pu être un échec commercial retentissant...
Le reste de l'album est d'une grande qualité : Lost And Found", "Memories Are Made Of This", "No Your Product", "Run Down", "Untitled" et ses guitares acoustiques sont des classiques du groupes. L'album comporte également une version ré-enregistré du simple "This Perfect Day".
Signe que l'écriture du groupe s'est améliorée, ils se permettent sur "Private Affair" de jeter un regard ironique sur la commercialisation du punk et la hype qui l'entoure : "And now you think that you got a first in fashion / New uniforms we all look the same / A new vogue for the now generation / A new profit in the same old game / We got new thoughts, new ideas it's all so groovy / It's just a shame that we've all seen the same old movies"
Ce disque fait partie des chefs d'oeuvre oubliés des seventies, on ne saurait que trop en recommander l'écoute et l'achat.
C'est donc dans l'indifférence générale que sort en 1979, Prehistoric Sounds, un album très sombre où le groupe pousse plus avant ses expérimentations en incorporant définitivement une section de cuivre. L'album trahit toutes les souffrances qu'a enduré le groupe et trahit une sorte de désillusion de ses membres pour l'industrie du disque. S'orientant de temps à autres vers le jazz, l'album mérite vraiment qu'on lui offre une nouvelle chance. Il est curieux qu'il soit sorti la même année que Searching For The Young Soul Rebels des Dexy's Midnight Runners tant le disque présente de similitudes avec celui de la bande à Kevin Rowlands.
Car même si "Know Your Product" avait mis la puce à l'oreille, sortir en 1979 un disque rempli de cuivre, sorte de fusion rock-soul-jazz, a tout du suicide commercial. Avec cet album les Saints se crashaient en beauté tout en livrant un des albums les plus intrigants et attachants tant de leur discographie que de la décennie seventies. Chris Bailey n'a sans doute jamais aussi bien chanté, crachant son dégoût et sa rancoeur à la face du monde sur des compositions magiques, hors du temps ("Swing For The Crime" ; "All Times Through Paradise" et son saxo ! ; "Brisbane -Security City-"). Le cocktail des genres fonctionne à plein, on en reste bluffé et marqué à vie. Mieux, le groupe se permet tout y compris revisiter Otis Redding ("Security") et Aretha Franklin ("Save Me"). Respect.
Ce Prehistoric Sounds clôt une trilogie en tout point remarquable qui a vu le groupe évoluer de la façon la plus surprenante qui soit avec qualité et surtout authenticité.
Le groupe dans sa première mouture se sépare après ce chant du cygne, Chris Bailey continuera à sortir des albums sous le nom de The Saints mais sans ses compères. Une page est tournée.

Frank

Tracklisting :
I'm Stranded (1977):
1. "(I'm) Stranded" (Ed Kuepper, Chris Bailey) – 3:32
2. "One Way Street" (Kuepper, Bailey) – 2:56
3. "Wild About You" (Andy James) – 2:35
4. "Messin' With the Kid" (Kuepper, Bailey) – 5:54
5. "Erotic Neurotic" (Kuepper, Bailey) – 4:07
6. "No Time" (Kuepper, Bailey) – 2:48
7. "Kissin' Cousins" (Fred Wise, Randy Starr) – 2:00
8. "Story of Love" (Kuepper) – 3:11
9. "Demolition Girl" (Kuepper) – 1:41
10. "Nights in Venice" (Kuepper, Bailey) – 5:41
Eternally Yours (1978) :
1. "Know Your Product" - 3:15
2. "Lost and Found" - 3:50
3. "Memories Are Made of This" - 2:20 (Ed Kuepper)
4. "Private Affair" - 2:05
5. "A Minor Aversion" - 3:07
6. "No, Your Product" - 4:07
7. "This Perfect Day" - 2:30
8. "Run Down" - 2:32
9. "Orstralia" - 2:24 (Ed Kuepper)
10. "New Centre of the Universe" - 2:21
11. "Untitled" - 2:47
12. "(I'm) Misunderstood" - 2:46
13. "International Robots" - 1:58
Prehistoric Sounds :
1. "Swing for the Crime"
2. "All Times Through Paradise"
3. "Everyday's a Holiday, Every night's a Party"
4. "Brisbane (Security City)" (Ed Kuepper)
5. "Church of Indifference" (Ed Kuepper)
6. "Crazy Googenheimer Blues"
7. "Everything's Fine" (Ed Kuepper)
8. "The Prisoner"
9. "Security" (Otis Redding)
10. "This Time"
11. "Take This Heart of Mine" (Chris Bailey)
12. "Chameleon"
13. "Save Me" (A. Franklin, Curtis Ousley)

Vidéos -

De I'm Stranded :




De Eternally Yours :



De Prehistoric Sounds :


8 commentaires:

  1. Bien vu...
    et merci de remettre à lumière ces Saints que l'on ne sauraient cacher.
    Un des 5 meilleurs groupes depuis 40 ans...c'est qd même autre chose que Radiohead.
    Bien à vous

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  2. Merci, ça me tenait à coeur de faire cet article sur un groupe dont on parle malheureusement trop peu !

    Frank

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  3. L'un des mes groupes préférés...

    Merci pour cet article passionné et éclairé.

    Bob Geldorf a dit : "Le rock dans les 70s fut transformé par trois groupes – les Sex Pistols, les Ramones et les Saints". CQFD

    Leur premier album ? Du punk lorgnant vers ses aînés, Stooges, Stones, Dylan, Who, n’oubliant jamais la mélodie (ces soli de Kuepper !), reprenant Elvis ("Kissin’ Cousins", en 77, fallait oser !) sans fioritures et à 200 bpm, osant les ballades rock crasseuses ("Messin’ With The Kid"), fonçant ensuite vers la ligne d’arrivée, atomisant tout sur leur passage ("Demolition Girl"), le grand final "Nights In Venice" laissant littéralement l’auditeur scotché au mur !

    La suite trahirait les influences soul-blues-jazzy du groupe, annonçant subtilement un futur groupe de Kuepper, les Laughing Clowns, qui partent du son de "Prehistoric Sound" pour faire du Archie Shepp s'essayant au garage punk. En voilà des perdants magnifiques que l'on aime à (re)découvrir !

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  4. Je connais pas trop les Laughing Clowns mais du coup ça fait partie des groupes que je vais chercher à approfondir !

    The Saints ont eu une énorme influence sur la scène rock, comment envisager des groupes comme Jon Spencer Blues Explosion ou les Rocket From The Crypt (qui semble avoir Prehistoric Sounds comme disque de chevet)sans passer par la case The Saints? Un groupe qu'il convient de réévaluer et de remettre à la place qui est la sienne : la plus haute !

    Frank

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  5. Bravo pour cet article bien écrit et enthousiaste !!
    j'adore the Saints aussi et ça s'entend ici
    http://www.meltingpod.com
    avec des interviews d'Ed Kuepper et de Chris Bailey (en anglais!!)
    lien direct tout sur The Saints
    http://meltingpod.free.fr/?cat=21
    Enjoy !!
    Annie

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  6. Article super intéressant qui retrace bien l'histoire du groupe. Il est vrai que ces trois premiers albums sont fascinants. Personnellement, j'ai une grosse préférence pour le second même si le troisième, qui m'accroche moins, me capte grâce à ce son si unique.

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  7. Quel papier super, quand même... Merci Franky !

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    1. Merci MC5 ! ça me fait bien plaisir, ce groupe étant avec Radio Birdman une de mes (nombreuses) marottes !
      ça fait longtemps que j'ai pas sorti un papier "anthologique" :)))

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