15 juillet 2012

Left Lane Cruiser & James Leg - Painkillers (2012)


Par le passé, les amateurs de rock'n roll et de punk-blues s'évertuaient vainement à compter - sur les doigts d'une seule main – le nombre de super-groupes ayant accouché d'une œuvre valable. Painkillers leur donne une magnifique occasion de démontrer le fonctionnement de leurs phalanges, quitte à utiliser celles du doigt coincé entre un majeur dénonciateur et un annulaire faiblard (à l'encontre des amateurs de easy listening par exemple).

Un « vrai » super-groupe donc ? Jugeons sur pièce : James Leg, chanteur-pianiste-organiste des Black Diamond Heavies et champion d'un certaine vision du rock'n roll basée sur le tryptique boissons / religion / déception amoureuse, et le duo guitare-batterie énergique formé par le Left Lane Cruiser en porteur de l'étendard punk-blues. Loin d'être seuls, ils reçoivent un coup de pouce de la part de Jim Diamond (bassiste des Dirtbombs, manager de Ghetto Recorders, proucteur et ingénieur studio) de Harmonica Shah (harmoniciste noir de 66 ans basé à Detroit, dont le grand-père - Sam Dawson - fut enregistré par Alan Lomax). Si on ne compte pas comme un pied, ça fait 5 musiciens, comme les 5 doigts ramassés dans une pogne bien serrée prenant la direction du visage de l'auditeur.

Dans leur bonté, ils préviennent sur leur pochette de l'arrivée imminente du KO technique. Les effets seraient d'autant plus graves qu'on profiterait de l'absorption des 8 pistes pour y joindre un verre de whisky. Bien qu'un médecin honnête vous déconseillerait l'écoute de Painkillers, Rawpowermag' vous y encourage... d'autant plus que ce disque est rempli de très bonnes reprises !

Dès « Sad Days Lonely Nights », du bluesman David « Junior » Kimbrough, on comprend que le groupe assurera une reprise fidèle des titres suivants : la mélodie répétitive est ici amenée par la guitare (avec l'emploi d'un bottleneck) et l'orgue avec un tempo considérablement plus énervé. J. Leg assure le chant tandis que Fredrick "Joe" Evans IV (Left Lane Cruiser) hurle à l'arrière-plan. Quelques courts solos pleins de saturation viennent parachever le tout, parions que cette reprise sera probablement dévastatrice en live.

Tandis que « She's Gone » de Hound Dog Taylor fait la part belle à Harmonica Shah, la présence de James Leg sur « Come to Poppa » (Bob Seger) au clavier et au chant montre clairement que ce titre aurait pu figurer sur un album précédent des Black Diamond Heavies (malgré l'emploi d'une wah-wah avec la guitare en 2nde partie).

La cover de « Red Rooster » de William James « Willie » Dixon est peut-être l'exemple parfait du titre « passeur », permettant à un auditeur débutant de découvrir le charme du blues à travers une version énergique : une guitare saturée pour une rythmique accélérée, une voix puissante et un harmonica brillant à travers le maelström sonore (en remplacement de la 2nde guitare sur le morceau originale). Bref, comme le rappelle le titre : les VU-mètre devaient être dans le rouge, et c'est tant mieux !

Reconnu depuis longtemps comme un dynamiteur de codes, notamment pour ses accords joués de façon « déconstruite », Jimi Hendrix fait aussi partie des artistes choisis par notre super-group. Malheureusement, avec « If 6 was 9 », l'exercice n'apporte pas grand chose mis à part une version plus courte avec un chant beaucoup plus guttural et une rythmique plus imposante (quitte à supprimer la partie de jam rempli de reverb de la version originale).

Histoire de rattraper le « raté » précédent (toute proportion gardée), la reprise de John Lee Hooker est un vrai tube ! « Shake it » sonne comme une seconde accélération : le boogie un peu syncopé de la guitare donne immédiatement une furieuse envie de remuer le postérieur. Harmonica Shah y est impressionnant : overblow, tremolo...

« Ramblin' on my mind » de Robert Johnson est radicalement remanié : le style dépouillé d'une association guitare accoustique / voix est délaissé au profit d'une orchestration basse / guitare / piano / batterie donnant à l'ensemble une énergie plus rock'n roll. Sans que le résultat soit mauvais (J. Leg est particulièrement à l'aise au piano), on préférera la version du bluesman mort à 27 ans, plus empreinte d'une certaine sensibilité.

Ne reculant devant rien, nos cinq maîtres de la pharmacopée blues vont jusqu'à chercher l'essence de « Chevrolet » et le groove inimitable de Taj Mahal. Oubliez l'enrobage d'une rythmique légère et la voix sèche de Taj Mahal, la présente version est nettement plus heavy mais se laisse facilement digérer. Les palais les plus raffinés se seront probablement épris d'une sensation de déjà-vu : « Chevrolet » rappelle furieusement « Can I Do it for You » de Memphis Minnie et Kansas Joe Mac Coy. Bien avant la norme ISO 14001, le blues était donc déjà l'objet de recyclage, diantre...


« When The Levee Breaks » de Led Zeppelin sonne l'arrivée de la fin de l'album : le tempo ralentit considérablement , les notes à la guitare et à l'harmonica s'étirent... Sans être fan des conducteurs de dirigeables plombés, il faut que reconnaître que le son de la version antérieure est meilleure pour sa gestion des effets (écho, stéréo) et son solo vers 2''40. Les chagrins rétorqueront qu'à l'époque les bandes ont été sciemment ralenties, rendant ce titre difficilement jouable en live. Encore une fois, rendons ses lauriers à César : nous devons cette chanson au duo Minnie – Mc Coy ! Encore eux !? Ça sent le complot ici...

La ballade des Rolling Stones, « Sway », n'est pas le feu d'artifice final attendu et termine petitement cet album. Sans vouloir être désobligeant, ses premières mesures évoqueraient presque une reprise (forcément horrible) de « Knockin' on Heaven's Door » par les Guns'n Roses. Heureusement, la suite démontrera la nullité de cette prime peur viscérale : voir un groupe apprécié se vautrer en fin d'album laisse toujours un goût amer.

Après un check-up complet et un bilan sanguin, le diagnostic est le suivant : si votre amour porté au rock'n roll et/ou au punk-blues est sincère et pur, alors vous classerez cet album de reprises parmi les 10 meilleures productions de 2012 et vous découvrirez ou retournerez à vos disques de R. Johnson, Jr. Kimbrough ou W. Dixon pour comparer les versions. Dans le cas contraire, vous connaissez le sort réservé aux phalanges mal soignées lorsque celles-ci rencontrent un coupe-cigares... Et une visite chez votre médecin traitant vous sera plus profitable qu'un retour sur Rawpowermag' !

John the revelator

Tracklisting :
« Sad Days Lonely Nights » (Jr. Kimbrough)
« She’s Gone » (Hound Dog Taylor)
« Come to Poppa » (Bob Seger {W. Mitchel/E. Randle})
« Red Rooster » (Willie Dixon)
« If 6 Was 9 » (Jimi Hendrix)
« Shake It » (John Lee Hooker)
« Ramblin’ On My Mind » (Robert Johnson)
« Chevrolet » (Taj Mahal {E. Young/L. Young})
« When The Levee Breaks » (Led Zepplin {M. Minnie & J. Mc Coy})
« Sway » (The Rolling Stones {Jagger/Richards/Taylor})

Extraits :
« She’s Gone » (reprise de Hound Dog Taylor)


« Ramblin’ On My Mind » (reprise de Robert Johnson)


Vidéos :

« Ramblin' on my mind » (Robert Johnson)


« Chevrolet » (Taj Mahal)


« Can I Do It For You ? » (Memphis Minnie & Joe Mc Coy)


« When The Levee Breaks » (Led Zeppelin)

10 commentaires:

  1. Suis vraiment pas convaincu par l'intérêt de ce disque... C'est plutôt cacophonique et pas très groovy, globalement le choix des chansons ne m'excite pas. Une jam sympa quoi.

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  2. Je l'ai chroniqué parce que j'avais encore les images de Binic à l'esprit et j'espérais y retrouver la même ambiance. Clairement, pour moi, "If 6 was 9", "Sway" et "When The Levee Breaks" ne sont pas transcendantes et auraient pu être remplacées par des trucs bien plus intéressants... mais "Shake it" et "Red rooster" sont plutôt bonnes! Quand je parle de top 10 pour 2012, je mettrai "Painkillers" loin derrière de "I Wanna Be Your Vicar". Bref, le but de l'exercice est aussi de mettre en évidence les morceaux originels. Si on fait découvrir le blues à 1 seul gus avec cet album, ça me va ;)

    John the revelator

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    1. Ah mais c'est très bien d'en parler!
      Je suis également circonspect quand au potentiel "passage de témoin" de ce disque... Je vois pas trop par quel miracle des ignorants en blues pourraient tomber sur ce disque. Quand au mec qui en entend parler grâce aux reprises de Led Zep/Stones/Hendrix, il sera conforté dans l'approche heavy gros cul du blues...
      Enfin bon je n'ai écouté que des MP3 sur un casque pourri, je pense pas que se soit idéal pour en apprécier les subtilités bien cachées.

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  3. C'est la 1ère fois que je fais une chro avec des fichiers .mp3 (mais avec un bon casque). J'ai du mal à dire qu'il y a des "subtilités" sur cet album :P

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  4. Ben moi depuis que je l'ai reçu ben il tourne en quasi continue sur ma chaine.
    Les chansons qui ne sont pas transcendantes sont justes celles qui bougent moins. Mais ça reste bon. Et les pistes qui bougent plus ben elles bougent et elles sont excellentes. C'est un disque simple et efficace, faut pas charcher à l'intellectualiser. C'est un bon disque, de bonne qualité et qui fait bouger. On sent que c'est fait avec plaisir et sans prises de tête. C'est ce qu'on attend du Rock'N'Roll non?

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    1. À la Douste-Blazy: "En effet". C'est du rock'n roll.

      John the revelator

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    2. @Anonyme : avis complètement partagé. Disque mineur certes mais perso je prends mon pied quand je l'écoute :)) Bon faut aimer la testostérone c'est sûr. Mon seul regret, que je partage donc avec Beat4less c'est vraiment le tracklisting. J'aurais aimé une plus grande prise de risque à ce niveau là. Parce que là ça fait best-of blues rock à papa...
      Des reprises de morceaux plus obscurs (un peu comme ce que font les Detroit Cobras) aurait été appréciées.
      Maintenant les Black Diamond Heavies en concert ils reprennent les Stones, les Stooges, AC/DC ou Van Halen donc finalement c'est assez cohérent.

      Et pis c'est quand même autre chose que le disque de Jack White :)))

      Frank

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    3. J'attends de voir dans quel état ils feront le reste de leur carrière avant de jeter la pierre à J. White... même si son dernier album est horrible (et c'est un fan qui parle).

      Pour revenir à nos moutons, les 3 pistes évoquées plus haut auraient pu être remplacées et ça aurait rendu cet album nettement meilleur. Et ça, je crois que tout le monde s'accorde dessus ;)

      John the revelator

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  5. Merci Monsieur the Revelator de nous révéler vos talents de chroniqueurs. Pas un disque exceptionnel, certes, mais pas mal pour mettre dans l'auto-radio pour des odyssées bretonnes début août. Vivement la prochaine chronique !

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  6. "Sway", c'est pas gros cul, c'est mid-tempo.
    Rien à voir.

    Béro du Fuzz

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