15 juin 2012

California Uber Alles : La Scène Punk et Hardcore Californienne 80's (2/2)

(retour à la première partie)

Paradoxalement cette scène punk californienne, si vivace, va à la fois créer le terreau nécessaire à l'éclosion de la scène harcore mais également être enterrée par elle.

Il faut bien dire que la montée en puissance de la scène hardcore allait de pair avec avec une édulcoration du mouvement punk traditionnel : les Ramones qui enregistrent avec Spector, Joan Jett qui enregistre "I Love Rock And Roll" et bientôt l'apparition du surf punk avec des groupes comme Agent Orange (Living In Darkness - 1981) ou les Malibooz et ... les Surf Punks... Rien d'infâme là dedans mais un intérêt convenons en relativement limité. On passera sous silence Nofx qui aura quand même ouvert la voie à Green Day et Offspring... soit l'archétype du punk canada dry.
C'est presque donc par opposition à ce mouvement punk "hollywoodien", qu'émerge la scène hardcore, portée par un public plus jeune, plus désabusé et plus radical.

La scène se développe autour des stations balnéaires et ce dès la fin des seventies même si ce sont bien les années 80's qui verront la scène prendre son envol, provoquant par ailleurs quelques remous avec des groupes nihilistes comme The Adolescents ("Just A Wrecking Crew / Bored Boys With Nothing To Do").
Si la scène punk-rock est alors dominé par X force est de reconnaître que l'on est loin de la violence d'un Black Flag (Damaged en 1981) ou du brûlot Group Sex des Circle Jerks (1980).

Les Circle Jerks, groupe fondé par Keith Morris suite à son départ de Black Flag qu'il a fondé avec Greg Ginn, se voulaient les plus authentiques, parfois à la limite de la caricature mais c'est ce qui fait aussi des Circle Jerks un des groupes les plus authentiques du mouvement.
Leur premier album résume assez bien la philosophie du groupe : sorti sur K7 puis sur le label Frontier Records, Group Sex comporte 14 titres pour 16 minutes. D'une rare violence, il faut être un adepte du genre ou aimer se faire mal pour encaisser ce brûlot, archétype de la scène hardcore. La sortie de Group Sex, l'intransigeance dont fait preuve le groupe et sa présence sur le documentaire de Penelope Spheeris, The Decline of Western Civilization (1980) assure au groupe une place de choix au sein de la naissante scène hardcore.
(http://grooveshark.com/#!/album/Group+Sex/340387)
Après ces débuts tonitruants le groupe patientera trois ans avant d'enregistrer son deuxième album, le maudit Wild In The Streets (le groupe devra batailler pour récupérer les droits avant de perdre le masster original...), sans rien perdre de son caractère d'urgence (16 titres pour 25 minutes) même si on est loin de l'agressivité des débuts. A noter la présence sur ce disque de reprises étonnantes : « Wild In The Streets » de Jeffreys Garland, « Just Like Me » de Paul Revere & The Raiders et « Put A Little Love In Your Heart » de Jackie DeShannon. Le groupe alternera ensuite breaks plus ou moins long et reformation sans jamais retrouver la hargne des débuts.


Le mouvement hardcore est bien souvent, et abusivement, résumé à Black Flag. Fondé par Greg Ginn (guitare), et Chuck Dukowski (basse), Black Flag comprend également Keith Morris au chant et Brian Migdol à la batterie. Dès 1977, Ginn et Dukowski fondent leur propre label, SST. Après le départ de Keith Morris, le chant passera à Ron Reyes, Dez Cadena puis Henri Rollins après une anecdote tellement célèbre qu'on ne l'évoquera pas ici.
Le groupe sortira un maxi45, Nervous Breakdown en 1978 puis le manifeste Damaged en 1981. Toutefois le refus de MCA distributeur du label de sortir un tel disque engagé viendra quelque peu ralentir la carrière du groupe qui mettra trois ans avant d'en sortir un deuxième (My War en 1984 revendiqué par les membres de Kyuss comme une influence majeure).
Avec son look de marine psychopathe, Henri Rollins marquera durablement les esprits même si réduire Black Flag à ce dernier serait faire injure à un groupe qui a eu une vie avant lui. Quoiqu'il en soit c'est lui qui chante (aboie?) sur ce Damaged incandescent. On est pas des grands fans de Black Flag mais il faut quand même reconnaître que des pistes comme "Rise Above" ou "Life Of Pain" font encore aujourd'hui leur effet.
(http://grooveshark.com/#!/album/Damaged/197732)




L'autre figure restera les Dead Kennedys de San Francisco qui se font remarquer dès 1979 avec son single California Über Alles et des titres comme "Kill The Poor" et "Too Drunk To Fuck". et surtout son premier album Fresh Fruit For Rotting Vegetables qui révèle un excellent parolier, Jello Biafra. Un Jello Biafra qui manipule humour, auto-dérision et critique mordante (dans une Amérique reaganienne rappelons le) avec le même bonheur et qui fait des Dead Kennedys un groupe à part, unanimement salué et dont l'aura dépasse largement le cadre du mouvement hardcore. Un groupe qui aura eu son lot de déboires également (polémique sur le nom du groupe à leurs débuts, puis sur le poster présent à l'intérieur de Frankenchrist leur 4e album faisant la part belle aux attributs sexuels tant masculins que féminins...) mais aura sorti la bagatelle de quatre albums et un EP entre 1980 et 1986 : Fresh Fruit for Rotting Vegetables (1980), In God We Trust, Inc. (1981), Plastic Surgery Disasters (1982), Frankenchrist (1985) et Bedtime for Democracy (1986).
Si ces albums sont fortement recommandables, le néophyte qui voudrait se faire la main peut utilement se rabattre sur la compilation Milking The Sacred Cow sorti chez Cherry Red en 2007 et qui fait la part belle aux hymnes du groupe. Un bon moyen de commencer.
(http://grooveshark.com/#!/album/Milking+The+Sacred+Cow/757265)



De cette scène on aurait pu citer les Descendents, Red Cross ou Angry Samoans et bien d'autres ! Mais force est de reconnaître que leur impact et leur intérêt est moindre que les groupes sus-cités. Le label SST (et BYO autre label du genre) tentera vainement de maintenir à flot un mouvement qui les a très tôt dépassé et qui surtout s'éparpille. Des China White, Wasted Youth et consorts, seuls arriveront à émerger les Bad Religion de Graffin et Gurewitz (fondateur d'Epitaph Records). Toutefois si les Bad Religion doivent beaucoup au hardcore, leur sens mélodique en font autant un rejeton du punk rock qu'un représentant du hardcore. En quelque sorte avec l'éclosion des Bad Religion, la boucle est bouclée.

On ne saurait conclure sur cette scène hardcore sans évoqué deux groupes un peu à la marge, T.S.O.L (pour True Sounds Of Liberty) et les Minutemen.

TSOL se forme en 1978 et se distingue par une approche plus mélodique et une carrière qui les a vu partir du hardcore pour très vite évoluer sous différentes formes intégrant des éléments post-punk (Change Today? en 1984 et Revenge en 1986) pour virer métal par la suite.
Après un premier EP très politique sorti en 1979 (et des titres comme « Abolish Government/Silent Majority » ou « Property Is Theft »), le groupe se stabilise autour d'un premier line-up composé de Jack Grisham, Ron Emory, Mike Roche et Todd Barnes et une imagerie et des textes proches des films d'horreur. Le résultat Dance With Me est assez étonnant et pose les bases du goth naissant, comme une sorte de réponse à leurs contemporains, les Misfits ou les Lords Of The New Church.
Le groupe pousse la formule encore plus loin s'éloignant largement du hardcore avec Beneath The Shadows. L'apport d'un clavier marque clairement la rupture avec les origines du groupe. L'ensemble s'il présente présente quelques pistes intéressantes sonne parfois un peu trop grandiloquent, mais pourra intéresser celles et ceux qui s'intéresse au genre.
(http://grooveshark.com/#!/album/Dance+With+Me/2072132)
(http://grooveshark.com/#!/album/Beneath+The+Shadows/473669)



Le cas des Minutemen du guitariste D. Boon, du bassiste Mike Watt et du batteur George Hurley est encore plus singulier. Les Minutemen enregistreront quatre albums et pas moins de 8 EPs jusqu'à la mort tragique de Boon dans un accident de la route en 1985. La musique des Minutemen diffère de celles de ces contemporains par un refus du solo de guitare ou des refrains, et des compositions ne dépassant guère la minute. Ainsi bien que rattaché au mouvement harcore dont il partage la vitesse et l'intensité, les membres du groupe n'ont jamais caché leur amour pour les disques de Beefheart ou de Red Krayola. Les Minutemen auront un impact majeur sur la scène rock dîte alternative, qui reprendra à son compte la démarche du groupe.
Leur album le plus régulièrement cité reste Double Nickels On The Dime, double album de 45 morceaux où s'entrechoquent hardcore, punk mais aussi funk et empreints au jazz. A noter que certains morceaux sont co-écrits avec Henry Rollins.
Dans cette démarche innovante les Minutemen étaient accompagnés des Saccharine Trust groupe intéressant mais moins essentiel.
(http://grooveshark.com/#!/album/Double+Nickels+On+The+Dime/1724709)
Quand on voit l'oubli dans lequel a sombré les Minutemen, on a du mal à comprendre que l'on puisse se souvenir encore de The Germs qui apparait bien moins essentiel en comparaison. Il faut dire que le groupe doit le fait d'être sorti de l'oubli à Pat Smear qui rejoindra quinze ans plus tard Nirvana.





Pour poursuivre sur le sujet on conseillera le visionnage du documentaire de Penelope Spheeris The Decline of Western Civilization (1980) qui montre à merveille comment la vieille scène punk traditionnelle se fait balayer par la scène hardcore, plus radicale, plus authentique et qui attire une nouvelle génération de punk rockers.

Frank

5 commentaires:

  1. Merci pour l'article, en complément :

    http://shitshishit.blogspot.fr/2012/05/dead-kennedys-lost-tapes-retrouvees-nom.html

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  2. même si Redd Kross (ou Red Cross puisqu'il s'agit des mêmes) n'a pas un impact majeur sur le son "hardcore", il s'agit d'un groupe essentiel de Los Angeles

    ces mecs ont eu une carrière énorme, démarrée au début des années 80 alors qu'ils avaient 14 ans, ils ont fait des albums régulièrement jusqu'à la fin des années 90, et là ils vont ressortir un album.

    Ils ont largement évolué au cours du temps, des débuts hardcore vers la powerpop, en ayant eu une phase "proto-grunge" sur leur classique "Neurotica"
    et la présence d'un membre de ce groupe dans le supergroupe Off! n'a rien du hasard ^^

    bon après si on s'en tient au hardcore stricto-sensu, oui c'est pas forcément majeur, quoi que très représentatif de LA dans les années 80

    pareil il y aurait énormément de choses à dire sur SST qui est un très grand label indépendant

    à part ça je me rends compte que je chipote mais j'admire l'effort de synthèse, car c'est très compliqué de faire ce genre d'article héhé
    beau défis que tu t'es lancé et c'est vraiment cool

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    1. Ah rien n'échappe à Alex ! J'ai fait exprès de parler de Red Cross qui était leur nom jusqu'à ce qu'un problème juridique les oblige à prendre le nom de Redd Kross. En effet, je ne m'intéresse ici qu'à leurs débuts au sein de la scène hardcore qui à mon avis méritaient pas que je m'apesantisse plus avant.
      Par contre Redd Kross je devrait en reparler dans un voire deux autres papiers sur la Californie 80's notamment pour les albums Teen Babes From Monsanto et Neurotica.

      Pour SST oui il y avait plein de choses à dire comme pour beaucoup de labels californiens de l'époque mais effectivement faut faire des choix.

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  3. Pareil, j'aime beaucoup ce genre d'article, et dans le genre celui-là est très sympa ! Bon courage pour le reste de la californie 80's (j'ai lu ailleurs que tu comptait tout faire, j'ai pris bonne note nieheh) j'y connais pas grand chose mais ça me semble bien touffu (http://lapostpunk.blogspot.fr/ par exemple).

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    1. Merci ! la suite du programme est là :
      http://rawpowermagazine.blogspot.com/2012/08/dossier-californie-le-plan.html
      j'étais déjà tombé sur ce blog avec ces compil'. Certes ça donne le tournis mais bon faut rester mesurer et tenter d'aller à l'essentiel...

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