19 août 2015

James Luther Dickinson - Dixie Fried (1972)

James Luther "Jim" Dickinson est dans le monde du rock ce qu'il convient d'appeler une légende.
Musicien de studio, on peut l'entendre au piano sur l'extraordinaire "Cadillac Man" des Jesters, "Wild Horses" des Stones, mais également sur Teenage Head des Flamin' Groovies. Il a, entre autre, joué avec Ry Cooder, Dylan, les Cramps, Spacemen 3...
Producteur de génie, il a également travaillé avec Big Star, Alex Chilton solo, Green On Red, Mojo Nixon, The Replacements, Tav Falco, Mudhoney, Primal Scream, T-Model Ford ...

Mais au final c'est peut être son oeuvre solo que l'on connaît le moins, occulté donc par ces multiples collaborations.
Pourtant Dixie Fried son premier album sorti en 1972 mérite vraiment que l'on s'y attarde. Cocktail rafraîchissant de rock and roll old school, de rythm'n blues endiablé, de country et de boogie rock, les neuf titres de ce premier album hétéroclite sont autant de preuve de l'indéniable talent de son auteur.
Capable d'alterner éructations comme sur l'over-the-top, "Wine" qui en fait l'héritier des pionniers Esquerita / Little Richard, relecture d'un titre des Nightcaps de 1962, (version qu'ont surement beaucoup écouté les membres de Slade) ou chant poignant mais garanti sans guimauve ("Strenght Of Love"), Jim Dickinson est un très bon entertainer.

Un Dickinson qui égrène ballade country façon Exile On Main Street ("Louise"), se la joue R'n B ("Dixie Fried") tandis que "Judgement" s'apparente sans doute au résultat qu'a souhaité (en vain) atteindre Clapton tout au long de sa carrière.

Production aux petits oignons avec renfort de choeurs féminins, piano forcément, Dixie Fried est symptomatique de ce que le bonhomme produira par la suite, maîtrisant à fonds tous les courants musicaux américains, s'en inspirant pour offrir ... autre chose.
Ainsi s'il paye son due à Dylan sur "John Brown" morceau de 1962, il  transforme radicalement ce morceau pour en offrir une relecture éminemment personnelle. Autre exemple, "O How She Dances", qui présente quelques similitudes avec ce qu'offrira quelques années plus tard un Tom Waits.

Dixie Fried est ainsi un disque curieux, empreint d'un grand classicisme mais qui entre les mains de son auteur, sonne très moderne dans l'approche pour l'époque.

Frank

Tracklisting :
1. Wine
2. The Strength Of Love
3. Louise
4. John Brown
5. Dixie Fried
6. The Judgement
7. O How She Dances
8. Wild Bill Jones
9. Casey Jones (On The Road Again)

Audio et vidéo :




12 août 2015

Groundhogs - Split (1971)

The Groundhogs est un groupe britannique de blues-rock né au début des années soixante. Le groupe pris le nom de Groundhogs en référence au "Groundhog's blues" de John Lee Hooker dont ils assureront d'ailleurs le backing band lors d'une tournée en 1964. Ils se feront d'ailleurs une spécialité de jouer les backing band de luxe pour pas mal de bluesmen américain en goguette de l'autre côté de l'Atlantique.
Le groupe finit par se stabiliser autour de Tony McPhee (guitare / chant), Peter Cruikshank (basse) et Ken Pustelnik (batterie) et sort son premier album en 1968, avec un harmoniciste avant de finalement opter pour la formule du power-trio sur les albums suivants.
Leur deuxième album, Thank Christ For The Bomb (1970) qui fera une apparition dans les charts UK de l'époque leur permet d'enregistrer dans la foulée, Split dont il est question aujourd'hui.

Sorti en 1971, Split, est le genre de disque qui une fois sur la platine peine à en sortir ! Plus vraiment blues, le groupe s'oriente plus vers un hard rock vaguement psychédélique et offre surtout un disque gorgé de riffs et soli inspiré.
McPhee s'y révèle être un guitariste d'exception qui fait des merveilles tout au de celui-ci, bien aidé en cela par une section rythmique solide.

La première face est une suite de quatre morceaux, les deux premiers s'enchaînant comme une variation sur un thème commun, tandis que le troisième dévoile une facette plus aventureuse du groupe alternant les changements de rythme avant que la quatrième partie ne rappelle les origines blues-rock du trio.
Cette première face est surtout l'occasion pour le groupe de faire à la fois étalage de sa virtuosité mais également de sa puissance de feu. On imagine assez bien le potentiel scénique de ces quatre titres.

La face B s'ouvre sur un titre incroyable, "Cherry Red", enregistré a priori en une seule prise, climax de l'album, véritable démonstration de force, sans doute un des meilleurs titres du genre, toutes époques confondues. Parker Griggs pourrait utilement se passer en boucle le dit morceau, preuve que l'on peut être virtuose sans en faire des caisses.
Alors forcément après un tel morceau, la suite paraît moins convaincante. C'est surtout que la tonalité des morceaux est bien différente plus apaisée et plus bluesy aussi. Et pourtant, "A Year In The Life", "Junkman" et "Groundhog" sont de solides compositions et ont des arguments à faire valoir.
"A Year In The Life" plus calme est ainsi une agréable récréation après la débauche de "Cherry Red" tandis que "Groundhog" est un très bon morceau de raw blues.
Un mot sur le chant qui s'il n'est pas le point fort de Split contribue à l'ambiance générale du disque, à l'impression de douce noirceur qui s'en dégage.

Un disque qui mérite une réhabilitation en bonne et due forme.

Frank

PS : à noter que sur l'édition cd de 2003 outre la remasterisation, on retrouve quatre titres live enregistré à la BBC en 1972.

Tracklisting :
Face A : Split Part One / Split Part Two / Split Part Three / Split Part Four
Face B : Cherry Red / A Year In The Life / Junkman / Groundhog

Audio et Vidéo :



21 janvier 2014

Swamp Dogg - Total Destruction (1970), Rat On (1971) et Gag A Maggot (1973)

Swamp Dogg, de son vrai nom Jerry Williams, est un artiste de soul qui se voit (du moins trois de ces albums) réédité par l'estimable label Alive Records. Un artiste pour lequel le mot culte ne sonnera pas galvaudé. Figure emblématique de la southern soul, il décide à la fin des sixties de s'affubler du nom de Swamp Dogg et de sortir des albums sous ce nom, influencé notamment par le côté satirique d'un certain Frank Zappa. Un humour grinçant qui transparaît des titres présents sur les trois disques désormais magnifiquement réédités.
D'ailleurs, à la vision des pochettes, vous aurez compris que le gaillard aime aussi la plaisanterie, ce qui tombe plutôt bien, nous aussi.

Sorti en 1970, Total Destruction To Your Mind est le premier disque de Jerry Williams et pour un premier essai c'est un coup de maître. Il offre ici une soul débridée, quelque part entre Otis Redding et Wilson Pickett. Mais une soul qui discrètement prend des accents funk voire boogie grâce à l'apport de Jesse Carr à la guitare (qui envoie de la fuzz quand nécessaire comme personne) et le batteur Johnny Sandlin qui arrive à dégager un groove diabolique. L'écoute de titres comme "Total destruction To Your Mind", "Redneck", "I U Die Tomorrow (I've Lived Tonight)" pourrait refiler la pêche au pire des dépressifs.
Dans la grande tradition du genre, on retrouve également des titres plus mid tempo, "Synthetic World", "Dust Your Head Color Red", "I Was Born Blue", "Mama's Baby, Daddy's Maybe" ou "The Baby is Mine".
(http://grooveshark.com/#!/album/Total+Destruction+To+Your+Mind/3576138)

A l'écoute de ce disque, on a du mal à comprendre : comment un tel chef d'oeuvre a pu être oublié de tous, à l'exception d'une poignée de spécialistes ? Aux confluents de différents courants, porté par un groupe impeccable, interprété par un Jerry Williams qui n'a rien à envier à ses prédécesseurs ou contemporains, cet album jouit en plus d'une production aux petits oignons ! C'est à n'y rien comprendre.

Dès l'année suivante, sort Rat On à la pochette magique. Non messieurs les censeurs, il ne s'agit pas de la pire pochette du monde mais du graphisme qui sied parfaitement au contenu du disque, et à la folie (douce) de son auteur.
Musicalement, on reste sur les mêmes bases que sur Total Destruction To Your Mind : élevées. On note toutefois un relatif apaisement dans les tempos. Interprétation ahurissante, que ce soit sur les nombreuses ballades soul poignantes ("Predicament #2" ; "God Bless America For What" ...) ou sur des titres plus enlevés (comme la géniale "Do You Believe"). L'orchestration (et notamment la section de cuivres), n'a rien à envier aux ténors de la soul et notamment au regretté Otis Redding dont l'ombre plane sur les enregistrements de Swamp Dogg. Une orchestration qui magnifie les compositions de Jerry Williams qui signe ici tous les titres à l'exception d'une reprise magique de "Got To Get A Message To You" des Bee Gees et "She Even Wake Me Up To Say Goodbye" composé par Doug Gilmore / Mickey Newbury et popularisé entre autres par Jerry Lee Lewis.
Un disque excellent de bout en bout.
(http://www.deezer.com/album/6442653)

Troisième album réédité par Alive Records (et 4e album de l'artiste), Gag A Maggot sorti en 1973, voit Swamp Dogg faire évoluer légèrement sa formule, les guitares se font plus funky, les morceaux commencent à s'étirer (trois titres dépassent les cinq minutes).
Outre les compositions de Williams, on y trouve entre autres réjouissances une reprise de "Midnight Hour" de Wilson Pickett et en bonus track (le disque en compte deux) une reprise du "Honky Tonk Women" des Stones.
Plus dans l'air du temps, ce disque, sorti sur un petit label, n'a malheureusement pas permis à Swamp Dogg d'obtenir le succès qu'il aurait mérité, même si globalement on lui a préféré ses premiers efforts.
(http://www.deezer.com/album/6497356)

On ne sait pas trop quel a été le problème avec Swamp Dogg. Pour quelles obscures raisons un artiste de ce calibre a-t-il pu rester confiner dans l'anonymat durant autant d'années ?
On remerciera d'autant Alive Records d'être à l'origine de la réédition de ce qu'il convient d'appeler des classiques de la soul.

Frank

Audio & Vidéo :








5 octobre 2013

Hatfield & The North : le son de Canterbury



Hatfield & the North : Choosing notes to see if they make friends (Pip Pyle, Licks for the Ladies)
Si ça c'est pas du condensé de Canterbury, je veux bien être pendu par les cheveux : une bonne dose d'essence de Caravan (Richard Sinclair), une cuillerée à soupe de Matching Mole (Phil Miller) et une pincée de Gong (Pip Pyle) et, shake it baby shake, ça donne Hatfield & the North. Le groupe doit son nom à la 1ere sortie d'autoroute au nord de Londres comme on le peut voir sur la couverture du 1er numéro de l'excellent fanzine Atem sorti en décembre 1975. Il faudra quelque temps pour trouver le clavier qui convient : après Steve Miller puis David Sinclair, c'est Dave Stewart (ex-Egg) qui rejoint le groupe en 1973. Il reste cependant un témoignage du groupe enregistré fin 1972 avec David Sinclair à l'orgue et, surtout, Robert Wyatt pour deux titres (God song et Fol de Rol) et une impro en babil avec un contrechant de Richard, à partir de 4' (For Robert) . C'est un charcumontage de 6 minutes (shunté n'importe comment) mais on en retrouve l’intégrale de 19' sur le bootleg Canterbury Anthology vol 12.

Hatfield & the North with Robert Wyatt, Rockenstock, December 72

Self titled : Drinking tea in the sea (Pip Pyle, Licks for the Ladies)
Le 1er album officiel sort en 1974. Toutes les compos de Richard Sinclair et de Phil Miller sont des réussites . Le chant de Richard atteint des sommets d'élégance dans les trois titres qu'il enchaîne sur la seconde face (Licks for the Ladies, Bossa Nochance et Big Jobs n°2 - by Poo Poo and the Wee Wees). Il pratique aussi le chant sans paroles, seul dans Aigrette, et en duo avec Robert Wyatt dans le magnifique Calyx. Ces deux chansons étant signées par Miller. Dans le délicat Fol de Rol, Richard se fend d'un solo de basse d'une subtilité sidérante. On peut émettre quelques réserves sur les titres largement instrumentaux signés Pip Pyle (Shaving is boring) et Dave Stewart, pour leur leur côté prog. Mais Son of « There's no place like Homerton » tire son épingle du jeu grâce à l'intervention du sax de Geoff Leigh, qui apporte une guillerette touche Henry Cow première époque, et à celle des gracieux choeurs féminins des « Wonderful Northettes » que l'on retrouve également dans Lobster in a cleavage probe du même Stewart. Au final, un album plein de charme malgré ses quelques scories.

Face A : "The Stubbs Effect" (Pyle) / "Big Jobs (Poo Poo Extract)" (Sinclair/Pyle) / "Going Up To People and Tinkling" (Stewart) / "Calyx" (Miller) / "Son of 'There's No Place Like Homerton'" (Stewart) / "Aigrette" (Miller) / "Rifferama" (Sinclair arr. Hatfield and the North)
Face B : "Fol de Rol" (Sinclair/Wyatt) / "Shaving Is Boring" (Pyle) / "Licks for the Ladies" (Sinclair/Pyle) / "Bossa Nochance" (Sinclair) / "Big Jobs No. 2 (By Poo and the Wee Wees)" (Sinclair/Pyle) / "Lobster in Cleavage Probe" (Stewart) / "Gigantic Land Crabs in Earth Takeover Bid" (Stewart) / "The Other Stubbs Effect" (Pyle)


(http://grooveshark.com/#!/album/Hatfield+And+The+North/7505270)

Calyx

The Rotter's club : Please do not take it seriously really, what a joke! (Pip Pyle, Share it)
Le jeune Philip du bouquin de Jonathan Coe est un fou de Hatfield & the North, c'est pourquoi l'auteur donne à son roman le même titre (en français, Bienvenue au club) que celui du second album du groupe.
Le disque démarre sur le poppy et fringant Share it, une compo de Sinclair très caravanienne sur des paroles de Pip Pyle (Laughing and drinking, dancing, grooving, stoned again
 / Falling over singing, hoping that you'll share it) également enjouées. Même le solo de Mini Moog de Stewart, pourtant assez daté, s'accorde à l'ambiance joyeuse de la chanson. S'ensuit, un thème jazzy plutôt fin, caractéristique de Phil Miller, qui n'est pas sans évoquer un certain petit disque rouge (Lounging there Triying). Après deux micro-interludes, (Big) John Wayne socks psychology on the jaw et Chaos at the greasy spoon, où Richard s'essaie à la fuzz bass additionnée de wah-wah (!), la première face continue par deux plus conséquentes compos de Pip Pyle. The Yes/No Interlude est un instrumental avec une section de vents formée de Brother Jim au saxo, de Tim Hodgkinson à la clarinette et de Lindsay Cooper au basson. Ces deux derniers, membres de Henry Cow, donnent à ce titre une coloration semblable à celle du Son of « There's no place like Homerton » du 1er album. Mais la meilleure des deux est encore Fitter Sroke has a bath, chantée par Richard, avec beaucoup d'application dans cette video :

Fitter Stroke has a bath 

Enfin, la face se termine tout en douceur avec le délicieux Didn't matter anyway, sur lequel papillonne la flûte de Jimmy Hastings.
L'essentiel de la seconde face est occupé par une longue suite de Dave Stewart, Mumps. La partie centrale, Lumps, rappelle les meilleures heures de Caravan. Le vocaux de Richard s'y mêlent à l'orgue de Stewart, qui évoque clairement le Dave Sinclair de Nine feet underground. A cela viennent s'ajouter les éléments plus spécifiques à Hatfield que sont le jeu de guitare de Miller, souvent clair, jazzy et délicat, parfois fuzz, et les choeurs des Northettes.

Face A : "Share It" (Sinclair/Pyle) / "Lounging There Trying" (Miller) / "(Big) John Wayne Socks Psychology on the Jaw" (Stewart) / "Chaos at the Greasy Spoon" (Sinclair/Pyle) / "The Yes No Interlude" (Pyle) / "Fitter Stoke Has a Bath" (Pyle) / "Didn't Matter Anyway" (Sinclair)
Face B : "Underdub" (Miller) / "Mumps" (Stewart)

(http://grooveshark.com/#!/album/The+Rotters+Club/2419704)

On peut juger tout cela assez peu rock'n roll, un peu trop maniéré-cup of tea-petit doigt en l'air, mais, derrière la complexité de l'écriture, la modestie et la fraîcheur de l'ensemble font de Hatfield & the North un des groupes les plus attachants de la scène de Canterbury. C'est, à l'évidence, l'élégance supérieure de Richard Sinclair, qui procure au groupe une grande part de ces qualités.

Laissons la conclusion à feu Sa Sainteté Hugh Hopper 1er, pape de la fuzz bass et protohigoumène de Canterbury qui déclarait à propos de H & the N : « Je pense que la musique qu'ils ont créée est l'une des plus fortes de ces dernières années. Richard Sinclair est mon bassiste préféré en Angleterre. » (Atem n°8, février 1977).

Peter Mermoz Steinhauser

19 août 2013

Matching Mole, c'est le taupe (2/2)


Matching Mole : Let's go into the vif of the subject



Le premier MM, self titled, sort en avril 1972 chez CBS.
O Caroline est une délicieuse pop song dont la musique est de David Sinclair, du Canterbury pur jus nappé de mellotron fluté. Une chanson d'amour (I love you still Caroliiiiiiine) peut-être adressée à Caroline Coon, journaliste, artiste en tous genres et future égérie des Clash. On s'en fout un peu, mais ça fait une très jolie chanson.
Le second titre s'appelle Instant Pussy, c'est une reprise de To Carla, Marsha and Caroline (For Making Everything Beautifuller) déjà présent sur The End of an Ear. Le riff est joué par la basse délicate de McCormick et là dessus, Robert improvise ce qui est un sommet du babil wyattien dont nous causions ci-avant, tout en brodant de la dentelle avec ses fûts. Une merveille.
Sur une mélodie de piano toute simple, Wyatt chante « normalement » les paroles de Signed Curtain. En matière de simplicité, les paroles se posent là aussi, d'ailleurs :
« This is the first verse
(X4)
 / And this is the chorus
 / Or perhaps it's a bridge
 / Or just another part
of the song that I'm singing »

Ensuite, ça change de cuisine avec une compo de Phil Miller, Part of the dance. On entre dans une musique que l'on pourrait qualifier de … grrmmpphhh... free form jazz-rock. Il me semble que Robert veut réaliser en Angleterre, ce qu'a fait aux Etats-Unis le Tony Williams Lifetime avec l'album Turn it over.


Une musique très partiellement écrite qui laisse une grande place à l'impro collective (et pas à l'impro chacun son tour). Encore une fois, ça fonctionne, mais on peut concevoir que cela puisse rebuter des oreilles habituées à des structures plus géométriques. La seconde face est, grosso modo, de la même eau que ce Part of the Dance, même si toutes les compos sont signées Wyatt.
Ce premier Matching Mole n'a donc guère de cohérence (et alors?), mais avec ses trois premiers titres, on a onze minutes de grâce absolue qui suffisent à faire de cet album un grand disque.


Tracklisting : "O Caroline" (Sinclair/Wyatt) / "Instant Pussy" (Wyatt) / "Signed Curtain" (Wyatt) / "Part of the Dance" (Miller) / "Instant Kitten" (Wyatt) / "Dedicated to Hugh, But You Weren't Listening" (Wyatt) / "Beer as in Braindeer" (Wyatt) / "Immediate Curtain" (Wyatt)
 L'album en intégralité :


Le petit disque rouge (1972)
Détournement d'une affiche chinoise appelant les ouvriers, les paysans et les soldats de la vaillante armée populaire à reprendre l'île de Taïwan tombée aux mains de la vermine capitaliste, la pochette montre que Dave McRae a remplacé David Sinclair, rentré dans le giron d'un Caravan aux mains de Pye Hastings dans lequel il ne brillera plus guère. Au dos, la pochette présente les musiciens classés par ordre de longueur de barbe, elle indique que Robert Fripp est le producteur de l'album et que Eno est « this summer's guest star ». Ces deux messieurs collaborant par ailleurs à l'enregistrement de leur album No Pussyfooting. Wyatt ne signe aucune des compositions, à l'exception des lyrics. La plupart des titres relèvent d'une sorte de jazz rock, plus écrit que dans le premier album, mais sans rien de froid (on n'est pas chez le Mahavishnu Orchestra) ou de technicisant. On y retrouve à tout instant la légèreté, la finesse et la modestie caractéristiques du « Canterbury sound ». La spontanéité de l'ensemble est largement due au jeu de batterie foisonnant de Wyatt sur l'ensemble du disque. La voix est présente sur la majorité des titres, notamment le surprenant Starting in the middle of the day we can drink our politics away (c'est à la fois le titre et la totalité des lyrics) et le remarquable Nan True's Hole de Phil Miller.


Mais l'une des perles de cet album est une magnifique chanson du même Miller, God song, chantée par Robert sur un simple accompagnement de guitare acoustique et de basse. C'est un sommet du chant « classique » de Robert. Les ceusses qui affectionnent Rock Bottom ne peuvent pas ne pas adorer cette chanson.

Les compagnons de Robert sont, eux aussi, brillants sur tout le disque. Phil Miller est un guitariste inspiré et original. Bill McCormick, à qui le jeu de batterie très libre de Wyatt convient parfaitement, fait un solo de fuzz bass hopperien (c'est un grand compliment) dans Marchides et un autre, tout en finesse dans Brandy as in Benj. Dave McRae, beaucoup plus pianiste qu'organiste, est d'une subtilité souveraine.
En live, le groupe est beaucoup plus aventureux, comme en témoigne cet enregistrement réalisé pour l'émission de Pierre Lattes en 1972.

Ce petit disque rouge apparaît finalement plus homogène que son prédécesseur, on peut penser que Fripp a cherché à resserrer les boulons, à densifier le son du groupe et a freiner les dérives free de Robert...
Tracklisting : "Starting In The Middle Of The Day We Can Drink Our Politics Away" (MacRae/Wyatt) / "Marchides" (MacRae) / "Nan True's Hole" (Miller) / "Righteous Rhumba" (aka "Lything And Gracing") (Miller) / "Brandy As In Benji" (MacRae) / "Gloria Gloom" (MacCormick/Wyatt) / "God Song" (Miller/Wyatt) / "Flora Fidgit" (MacCormick) / "Smoke Signal" (MacRae)

Matching Mole se sépare à la fin de l'année 1972, peu après la sortie de cet opus. Wyatt a le projet de rebâtir le groupe avec MacCormick, le clavieriste Francis Monkman et le saxophoniste Gary Windo.
Mais, le 1er juin 1973, Robert Wyatt se rend à la fête donnée chez Lady June (je ne sais pas si on voyait bien la lune cette nuit-là) pour le quarantième anniversaire de Gilli Smyth.
Il choit.

Peter Mermoz Steinhauser

 L'affiche qui fut détournée

2 août 2013

Matching Mole, c'est le taupe - Intro (1/2)


Prolégomènes : La fin d'une ère (et d'une oreille, par la même occasion)


Third (1970)
Pour comprendre les origines du commencement, il est sage de débuter par les prémisses du point de départ. Les aficionados du comput savent qu'après deux, il y a trois. Autrement dit qu'après Soft Machine Vol. 2, il y a Third. Et que dans deux des quatre faces de Third, Soft Machine joue du jazz. J'ai bien dit : du jazz. Pas du jazz-rock, non, non. Pas du free jazz, non, non. Un brit-jazz moderne et parfaitement accessible, qui prolonge les tentatives menées dans Esther's nose job, la seconde face du Vol.2. Le groupe tournera ensuite avec quatre souffleurs (Nick Evans au trombone, Mark Charig au cornet, Lyn Dobson au sax et à la flute, Elton Dean au sax). Les connexions entre les musiciens de Canterbury et le milieu du jazz britannique sont étroites, tous ces musiciens se retrouvent aussi bien chez Soft Machine que dans les les projets de Keith Tippett (Keith Tippett Group, Centipede) et même chez King Crimson (Lizard, Islands). La quatrième face de Third (Out-Bloody-Rageous) et surtout la deuxième (Slightly all the time) sont somptueuses bien que médiocrement enregistrées, cette dernière étant illuminée par un solo de sax stratosphérique d'Elton Dean sur un très beau thème de Ratledge (Backwards). La première face comporte un thème alambiqué de Hopper (Facelift) enregistré live et passablement inaudible (il y a de meilleures versions sur les BBC recordings).
La face essentielle de Third, c'est donc la … troisième. Elle est signée de Wyatt, qui chante et joue de tous les instruments sur la première moitié de ce Moon in June, un assemblage de chansons dont certaines étaient déjà présentes sur Jet Propelled photographs (That's How Much I Need You Now et You don't remember). Dans la seconde moitié, l'énorme bass fuzz de Hopper et l'orgue au son de serpent de Ratledge déboulent pour un passage instrumental émaillé de vocalises wyattiennes. Enfin, le morceau se termine par une longue plainte mi-nimaliste mi-chantée par Robert et le violon de Rab Stall. Difficile d'en parler mieux que dans cette chronique de Third dans R&F par Melmoth (Dashiell Hedayat) .
Au regard de l'ensemble de l'album, Moon in June apparaît bien comme un demi album solo de Wyatt à l'intérieur d'un disque de Soft Machine devenu un quartet de jazz instrumental. Visiblement, les autres membres du groupe ne veulent plus de la voix de Robert (« Je n'aimais pas le chant de Robert, de toute façon. Il y a très peu de chanteurs que j'aime. » Hugh Hopper, Best n° 54).
Glups.
Face A : "Facelift" (Hugh Hopper)
Face B : "Slightly All the Time" (Mike Ratledge) -  Including: "Noisette" (Hopper), "Backwards" (Ratledge) and "Noisette Reprise" (Hopper)
Face C : "Moon in June" (Robert Wyatt)
Face D : "Out-Bloody-Rageous" (Ratledge)

En écoute ici :
http://grooveshark.com/#!/album/Third/429322




The End Of An Ear (1970)
Third a été enregistré au début de 1970. En août de la même année, Wyatt, « out-of-work pop singer, currently on drums with Soft Machine» dit la pochette, sort son premier album solo, The End of an Ear. La pièce maîtresse en est la reprise en deux parties d'une composition de Gil Evans, Las Vegas Tango. Robert y mène l'expérimentation beaucoup plus loin que dans Moon in June. Il y joue du piano acoustique, du piano électrique et de la batterie. Mais surtout, il pousse à son paroxysme ce que l'on ne peut appeler autrement que le babil wyattien : des vocalises haut perchées, souvent relayées par la chambre d'écho et le re-recording. Sur la pochette, il est crédité de « drums, mouth, piano, organ » : pas de paroles, la bouche est un instrument qui produit des sons, des onomatopées, des bruits ! C'est expérimental, oui, avant-gardiste, certainement et aventureux, n'en doutons pas … mais ça fonctionne ! Ça part dans tous les sens mais ça reste fluide et naturel, toujours spontané et sincère.
Face A : "Las Vegas Tango Part 1 (Repeat)" (Gil Evans) / "To Mark Everywhere" / "To Saintly Bridget" / "To Oz Alien Daevyd and Gilly" / "To Nick Everyone"
Face B : "To Caravan and Brother Jim" / "To the Old World (Thank You For the Use of Your Body, Goodbye)" / "To Carla, Marsha and Caroline (For Making Everything Beautifuller)" / "Las Vegas Tango Part 1" (Gil Evans)




Fourth (1971)
A la fin de l'année, le groupe sort un autre album, simple cette fois, qui, dans un accès de frénésie créatrice débridée, est intitulé Fourth. Pas une seule compo de Robert à l'horizon, nul embryon de couplet ni ébauche de vocalise. Nada. Que couic. Ceci dit, sur ce disque - de jazz, donc – parfaitement enregistré contrairement à son prédécesseur, le jeu de batterie de Wyatt est parfaitement exceptionnel. Il a souvent proclamé son admiration pour Tony Williams et, mazette, cela s'entend. Après une tournée américaine en juillet 1971, Wyatt quitte le groupe. Alors que les désaccords sur la ligne musicale et sur la place du chant dans le groupe étaient évidents, Wyatt a fréquemment déclaré dans les interviews avoir été viré du groupe et semble en avoir conçu quelque amertume (« En réalité j'ai été viré et l'ai très mal vécu, tout comme mon échec scolaire. Cette éviction a renforcé un manque de confiance en mes capacités. » R&F n°385).
Re-glups.
Face A : "Teeth" (Mike Ratledge) / "Kings and Queens" (Hugh Hopper) / "Fletcher's Blemish" (Elton Dean)
Face B : "Virtually Part 1" (Hopper) / "Virtually Part 2" (Hopper) / "Virtually Part 3" (Hopper) / "Virtually Part 4" (Hopper)

En écoute ici :
http://grooveshark.com/#!/album/Fourth/3741156



En tout état de cause, Robert a désormais le chant libre - :) - il réunit autour de lui l'organiste David Sinclair qui a quitté Caravan pour le rejoindre, le guitariste Phil Miller déjà entendu sur Waterloo Lily et le bassiste Bill McCormick, ancien du groupe de Phil Manzanera, Quiet Sun. En bon dadaïste francophile, Wyatt nomme ce groupe Matching Mole (pas besoin de faire un dessin, uh ?).

Peter Mermoz Steinhauser



6 juillet 2013

Saga Caravan - If I Could Do It ... (1968-72) - (2/2)



1971 – In the land of grey and pink
« Pick our fill of punk weed and smoke it till we bleed, that's all we'll need » (Richard Sinclair, In the land of grey and pink)
La pochette rose montre un paysage de village hobbit. C'est donc un chef-d’œuvre.
Pye Hastings, en retrait, ne signe qu'un titre court et dispensable sur la première face. C'est Richard Sinclair qui prend la main en signant trois titres de toute beauté. Il y est question de pluie de balles de golf ("Golf girl"), de ménestrels, de dragons et de chevaliers ("Winter wine"), et de petites créatures facétieuses – nasty grumbly grimblies ("In the land of grey and pink"). Trois classiques de Caravan. S'y ajoute sur la face deux un enchaînement de huit titres signés du cousin David sous le nom de "Nine feet underground". Le son bien particulier qu'il produit, marque de fabrique de Caravan, est obtenu en ajoutant un soupçon de fuzz à son orgue. La sonorité reste onctueuse, beaucoup moins sifflante que celle de Mike Ratledge, d'autant que le phrasé de David Sinclair, qui ne crache pas sur la wah-wah, tend à se couler de plus en plus dans celui du saxophone de Jimmy Hastings, très présent sur cette face. Il y enchaîne les solos de flute et de sax avec une coolitude supérieure.
Si In the land of grey and pink est l'album du groupe qui s'est le mieux vendu et qui est généralement présenté comme son classique, on serait fondé à reprocher au groupe d'avoir émoussé le tranchant de sa lame depuis l'album précédent, d'avoir privilégié le versant prog-jazzy aux dépens du versant pop-psyche. L'argument est admissible, mais il l'est surtout pour ce "Nine feet underground", les merveilles de Richard Sinclair sur la première face emportant définitivement l'adhésion.

Face A : Golf Girl / Winter Wine / Love to Love You (And Tonight Pigs Will Fly) / In the Land of Grey and Pink
Face B : Nine Feet Underground (Nigel Blows a Tune - Love's a Friend - Make It 76 - Dance of the Seven Paper Hankies - Hold Grandad by the Nose - Honest I Did! - Disassociation - 100% Proof)

En écoute ici :
http://grooveshark.com/#!/album/In+The+Land+Of+Grey+And+Pink/164443

Vidéos :


1972 – Waterloo Lily
« Ain't life a disaster? » (Steve Miller, Songs and signs)
Le désastre, cela aurait pu être le départ de David Sinclair qui rejoint Robert Wyatt pour fonder Matching Mole. A la demande de Richard Sinclair, c'est Steve Miller qui remplace le cousin lâcheur. Seulement Steve Miller goûte peu l'orgue, il joue essentiellement du piano (un électrique Wurlitzer, moins couteux que le Fender Rhodes) dans un style jazz-rythm'n blues et renâcle à faire du Sinclair. Le son et le style de Caravan changent de façon significative. Une fissure se dessine entre un axe Pye/Coughlan qui craignent que Caravan ne perde son public pop et l'axe Sinclair/Miller prêt à chasser sur des terres plus aventureuses. L'instrumental "Nothing at all" s'appuie sur une redoutable ligne de basse simplissime et ultra groovy sur laquelle viennent improviser des invités comme l'inénarrable Lol Coxhill au soprano et le guitariste Phil Miller, frère de Steve, et guitariste de Matching Mole (le monde de Canterbury est petit). "Waterloo lily" est un titre enjoué à la "Golf girl", en plus heavy, chanté par Richard. "The love in your eye" est le morceau de bravoure de Pye, une magnifique mélodie, hélas gâchée par un arrangement de cordes baveuses et de cuivres par trop rutilants. Les trois autres titres, chantés par Pye, courts, sont parfaitement charmants. Et le cd comporte des bonus excellents comme ce "Pye's june thing" chanté avec un simple accompagnement de guitare sèche.
Avec ses défauts, son côté bancal, "Waterloo Lily" est un album très attachant. On peut trouver que "In the land..." frisait l'overdose d'orgue, la légèreté du piano de Miller est d'autant plus appréciable qu'elle permet aux autres de s'exprimer. Pye prend ses premiers solos de guitare et s'en sort très bien. Quant à Richard Sinclair, il est impérial. Le mixage met sa basse très en avant et il rayonne tout au long du disque.
C'est un fait rare qu'un groupe en train de se déliter produise un très bon album, et ce n'est pas tous les jours qu'on voit un fait rare passer.

Face A : Waterloo Lily / Nothing at All - It's Coming Soon - Nothing at All (Reprise) / Songs and Signs
Face B : Aristocracy / The Love in Your Eye - To Catch Me a Brother - Subsultus - Debouchement - Tilbury Kecks / The World Is Yours

En écoute :
http://grooveshark.com/#!/album/Waterloo+Lily/2769138

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Epilogue
Hastings et Coughlan restent seuls à bord de Caravan, Richard Sinclair part fonder Hatfield & the North avec Phil Miller, Pip Pyle et Dave Stewart. Quant à Steve Miller, il enregistre avec Lol Coxhill (deux split-albums réédités en double cd chez Cuneiform. Le Caravan poppy-proggy de 1973 a du succès (For girls who grow plump in the night), mais c'est un autre groupe dont Pye est l'unique leader. Le groupe originel se rassemble en 1982 pour enregistrer Back to front pour lequel il autorisé d'avoir une certaine indulgence si l'on est vraiment caravanomaniaque.
Si j'étais moi, ce qu'à Dieu ne plaise, je conseillerais de commencer par If I could do it … parce que c'est le plus acéré, le plus fougueux comme le plus aérien, des albums de Caravan.
Après, vous êtes assez grands pour vous débrouiller, non?